mardi 8 juillet 2025

 L’archéologue Abderrahmane Khelifa, estime qu’  «il faut décoloniser notre histoire».

Il a déjà écrit de nombreux ouvrages sur des villes notamment Bejaia, Tlemcen, la Kalaa des Béni Hammad et a fouillé dans le passé de la Casbah d’Alger et de Honaine.

Dans cet entretien, Abderahmane Khelifa nous parle de sa passion pour l’archéologie qui est une sorte de phare pour l’historien. Il évoque aussi l’enracinement du peuple algérien et la profondeur de son histoire. Sans se départir de  sens de la pédagogie qu’il a cultivé durant sa carrière universitaire.

 

Entretien réalisé par Samira Belabed

 

Quelle est la relation entre l’anthropologie, l’archéologie et l’histoire ?

L’archéologie est une discipline qui ne ment pas. Elle repose sur des preuves matérielles, objectives. Elle ne s’appuie pas sur des récits idéologiques ou sur des suppositions. Ainsi, lorsque nous avons découvert le site d’Aïn Boucherit,  beaucoup ont été surpris. Cela prouve que l’Algérie était anciennement peuplée et bat en brèche les discours coloniaux qui ont longtemps nié notre passé et selon lesquels, l’Algérie n’avait ni histoire ni monuments. Pourtant, si l’on observe tout notre territoire, du Sahara à la Méditerranée, on trouve des monuments historiques d’une immense importance. Cela montre que nous sommes un vieux peuple, dans un vieux pays enraciné dans la civilisation.

Avez-vous un exemple de cette profondeur historique ?

Bien sûr. Imedghassen, c’est le premier grand monument historique (hors préhistoire), qui date du IVe siècle avant J.-C. Il témoigne déjà de l’existence d’un royaume berbère, d’un État organisé. Il y avait déjà une administration, une monnaie, une structure sociale et politique solide. Ce sont des preuves concrètes, visibles, pas des hypothèses. L’architecture du monument est unique, si vous tentez de glisser une feuille de papier entre deux pierres, vous n’y parviendrez pas. Cela montre la maîtrise technique du tailleur de pierre et le génie architectural de cette civilisation. Pour cela, il faut cesser d’utiliser le mot «barbare» pour parler de nous. Nous avions nos royaumes, nos structures sociales, économiques, notre culture. À l’époque de Massinissa et Syphax, on avait déjà notre monnaie. Personne ne peut réfuter ces preuves.

Vous insistez souvent sur la nécessité de vulgariser l’archéologie. Pourquoi ?

Vulgariser l’archéologie est une responsabilité collective. L’État, l’Université, l’École, les médias : tous ont un rôle à jouer. C’est grâce à l’archéologie que notre pays a été reconnu à l’international, notamment avec la découverte d’Aïn Boucherit. Pour la première fois, un ministre de la Culture a reçu des archéologues pour les féliciter. Et pourtant, ils n’ont pas creusé un kilomètre carré, juste quelques centaines de mètres. C’est dire l’importance de ce que nous avons sous nos pieds. Si nous voulons vraiment connaître notre histoire, il faut investir dans l’archéologie. Plus on va dans l’histoire, plus on se rend compte que le Nord-Africain avait des dispositions à se gouverner par lui-même. Ecrire l’histoire n’est pas dire n’importe quoi.

Les pseudo- historiens, il faut les confronter avec des preuves et des faits. Malheureusement, l’archéologie n’est pas valorisée dans notre système éducatif. On y envoie souvent les élèves les plus faibles. On accepte parfois des étudiants qui ont moins de 10 au bac. À l’inverse, en médecine, il faut 17 ou 18 pour être accepté, d’où l’urgence de valoriser la discipline Avant, seuls les meilleurs allaient en philosophie ou en histoire. Aujourd’hui, on choisit ces disciplines par défaut. Ce n’est pas normal. Et cela se reflète dans la production scientifique : nos archéologues ne sont pas formés à écrire. Résultat, ils découvrent, mais ne transmettent pas. Il faut former à la rédaction scientifique dès l’université. Sinon, notre patrimoine restera muet.

Quel est l’état actuel du patrimoine archéologique en Algérie ?

Il est en danger. L’État est conscient, mais il faut renforcer sa capacité à protéger nos sites. Quand un monument est détruit, c’est comme si l’on déchirait notre carte d’identité. Et si l’on continue à la déchirer, il ne reste plus rien. Il y a aussi les fouilles sauvages. Récemment, à Oum El Bouaghi, une association m’a alerté sur des pilleurs qui fouillent illégalement pour vendre les objets à l’étranger. Heureusement, la gendarmerie a pu intervenir, mais c’est un phénomène grave. Nous avons déjà perdu des pièces précieuses. Par exemple, une tête de Gorgone en marbre de 400 kg, qui était à Annaba, a été volée et retrouvée dans la maison de la fille du président tunisien  Ben Ali après sa chute. L’implication des citoyens et la société civile est capitale pour protéger nos biens patrimoniaux.

Vous avez beaucoup travaillé sur la région de Honaine, à Tlemcen. Que nous apprend-elle ?

Tlemcen est un miroir de notre histoire. Abdelmoumen Ibn Ali, un personnage central de l’histoire du Maghreb, parlait et   commandait ses troupes en tamazight. Cela montre que le substrat amazigh est toujours présent à travers les différentes civilisations qui se sont succédé. C’est comme les fondations d’une maison : sans elles, tout s’écroule et c’est pareil pour l’histoire. À Tlemcen, aux XIIe et XIIIe siècles, il y avait déjà des réseaux d’égouts. Aujourd’hui, en 2025, certaines villes n’en disposent pas ! Cela montre que notre civilisation était avancée. Grâce à l’archéologie, on redécouvre cette grandeur, et cela nous donne des armes pour affirmer notre histoire, face à ceux qui la nient.

Vous plaidez pour «décoloniser l’histoire». Que cela signifie-t-il?

Décoloniser l’histoire est sortir du récit imposé par l’extérieur. C’est écrire notre histoire nous-mêmes, sur la base de preuves scientifiques. Il y a aujourd’hui des gens qui s’autoproclament professeurs, qui disent n’importe quoi. Il faut les confronter, preuves à l’appui. L’archéologie est notre meilleure alliée. C’est ce que j’essaie de faire dans mes écrits, dans mes conférences, dans ma carrière. L’histoire ne doit pas être une fiction, mais la mémoire authentique d’un peuple et le nôtre, a une histoire millénaire. Il est temps de la connaître, de la défendre et de la transmettre.

S.B.

 


mardi 8 avril 2025

 Débutons nos pérégrinations algéroises par un livre qui semble subsumer tous les autres ou du moins une partie de ceux que nous avons choisis car il nous propose de remonter le cours de l’histoire, des origines jusqu’à l’époque moderne, au début de la période coloniale. Alger des Bani Mazghanna vient à notre rencontre et se livre dans le beau livre que lui consacre notre collègue historien et archéologue, Abderrahmane Khelifa1 qui nous présente un exposé exhaustif de l’histoire de la ville de la préhistoire à la période coloniale. Bien documenté, accessible aux non spécialistes, agrémenté d’une belle iconographie, l’ouvrage imprimé sur un papier luxueux de couleur beige façon vieux livre, nous narre l’histoire des monuments de la ville comme autant de traces, d’empreintes des différents peuples qui l’ont habité et ont bâti ces vestiges qui nous renseignent sur leurs mœurs et leurs coutumes. Des bouleversements, Alger en a connu mais A. Khelifa va surtout insister sur la période qui a vu la splendeur de la ville au zénith de sa gloire, la période de la Régence d’Alger plus communément connue comme la période ottomane, notre ville et son arrière-pays constituant la partie la plus occidentale de l’Empire ottoman. C’est au cours de cette période qu’ont été édifiés les plus beaux édifices. L’auteur nous en donne une liste relativement complète et c’est alors que nous submerge soudainement un souffle de nostalgie devant le nombre de ceux qui ont disparu, détruits par la violence de la conquête coloniale et sa volonté d’imprimer, elle aussi, sa marque sur les décombres de celle qui fut Alger Almahroussa, Alger la bien gardée ! Certes, certains de ces édifices vont être, dans un élan réparateur de la puissance coloniale mais aussi, des autorités algériennes après l’indépendance classés au patrimoine national ! A. Khelifa nous les répertorie non sans s’inquiéter sur les procédés et les processus utilisés pour les restaurer et les sauvegarder ! Car, si le Bastion 23 ou Palais des Raïs a pu retrouver ses splendeurs d’antan et que la villa Abdellatif connaît des travaux prometteurs d’une résurrection réussie, qu’en est-il de la villa Mahieddine, récemment sauvée du naufrage et de la prédation et des palais de la Casbah ? Une récente visite dans ce quartier emblématique d’Alger, nous a fait mesurer les dangers et les dégâts que pouvait résulter d’une restauration rapide, mal conduite et mal pensée ! Coller des céramiques dont les couleurs modernes jurent avec celles anciennes met à mal la cohérence et l’authenticité de tout l’édifice. La restauration doit se faire en respectant autant que faire se peut les manières de faire anciennes et il existe des artistes et des artisans qui s’efforcent de les retrouver, pourquoi ne pas les avoir associés alors, à l’entreprise ? Nous l’aurons compris, cet ouvrage est à la fois une ode et un hommage à la ville mais aussi, un appel à la nécessité de sauvegarder ses beaux atours et plus particulièrement, son cœur palpitant qui n’en finit pas de pleurer les outrages du temps, de la nature et des hommes, la Casbah.

vendredi 24 janvier 2025

 Le couscous est un repère identitaire, insiste Yasmina Sellam. Il relève du patrimoine culinaire de l’Algérie.

Elle l’a dit et répété plusieurs fois, lors de la rencontre qu’elle a animée, dans l’après-midi de samedi dernier, à la librairie Chaib Dzair de l’ANEP. Mme Yasmina Sellam roule et cuisine elle-même son couscous qu’elle sert aussi. Elle en parle avec beaucoup de passion et de détails savoureux.

«Le Couscous racines et couleurs d ‘Algérie»

Lors de la présentation de son beau livre «Le Couscous racines et couleurs d ‘Algérie» (120 pages 3.000 DA édition  ANEP), elle a rappelé qu’en entamant ses recherches pour son livre préfacé par Abderrahmane Khelifa, d’aucuns ont voulu la décourager car, disaient-ils, «nous n’avons pas de gastronomie mais une cuisine ménagère».

Parlant du plat qu’on retrouve à travers tout le pays et qui est servi dans toutes les occasions, elle a fait savoir qu’il remonte au  Néolithique car l ‘Algérie produisait déjà du blé, de l’orge et des pois chiche. «Pas de tomate par contre qui est venue plus tard. Notre couscous était blanc», dit-elle. «Du temps de Massinissa parce que la Numidie produisait du blé et de l’orge en grandes quantités, se nourrir de couscous était un geste familier», ajoute-t-elle

L’important est dans les techniques de fabrication du couscous

Ibn Khaldoun disait que «les Berbères se nourrissaient de couscous et revêtaient le burnous» et Bourguiba aurait un jour proclamé que «le Maghreb s’arrête là où s’arrête le couscous». Il est difficile hormis les langues et la religion de trouver un repère identitaire aussi fort.

Selon elle,  il est si lié à l’identité que des déportés algériens en Nouvelle Calédonie avaient tenu à emporter avec eux une poignée de couscous et des noyaux de datte. Sellam a soutenu que le couscous, qui se décline sous différentes formes, on le trouve partout en Algérie et au Maghreb mais ce qui est important c’est le savoir-faire, les techniques de fabrication.

Exportation du couscous algérien en 1845

Elle s’est attardée sur la 1e usine de production de couscous, ouverte vers 1845 à Blida par Ricci. Des femmes, selon le témoignage d’un travailleur, mort l’an dernier, roulaient de 7 h à 14 heures 100 kg. C’est à cette époque que le couscous commence à être exporté et que Ricci et Ferrero vont utiliser des rouleuses mécaniques.

Pour Sellam,  le couscous, contrairement à ce que veulent faire croire les Marocains et d’autres, est algérien. Il s’agit d’un patrimoine que d’autres cherchent à accaparer et que l’Algérie devrait mieux défendre. En véritable cordon bleu, elle a évoqué les vérités de différentes régions, les sauces et les ingrédients. «Nos couscous ont différentes couleurs rose à Mila, vert à Timimoun et à Beni Abbès on le prépare avec des figues qui n’ ont pas encore mûri», a-t-elle fait savoir. Elle a évoqué le classement par l’UNESCO qui, selon elle, se réfère aux savoir-faire.

Enfin, elle a plaidé pour l’adaptation du couscous tout en gardant sa base, pour lui «permettre de voyager dans le monde, de devenir le symbole de notre identité en variant tout simplement les recettes». Pourquoi ne pas songer, dira un intervenant, lors du débat, à ouvrir un musée du couscous. «Un festival aussi» fait remarquer Mme Sellam pour qui défendre son pays c’est aussi savoir présenter son patrimoine en donnant de lui une image vraie et attrayante .