mardi 28 février 2012

massinissa ( la Nation) 28 fevrier 2012


Massinissa

Abderrahmane Khelifa*
Jeudi 23 Février 2012



L’origine des royaumes berbères du Maghreb remonte probablement vers le milieu du deuxième millénaire avant l’ère chrétienne puisque nous savons par des dessins et des hiéroglyphes que des rois nord africains envahissent l’Egypte en 1227, en l’an 5 du règne de Mineptah. A la fin du IXe siècle avant notre ère, Elissa princesse de Tyr, négocie avec un roi Numide, Hiarbas, l’installation de sa petite colonie dans le golfe de Tunis. Plus tard au IIIe siècle avant J.C, ces rois numides apparaissent à travers les récits concernant les trois guerres puniques qui opposèrent durant plus de cent ans les deux grandes puissances de l’époque.          
  
C’est vers la fin de la première guerre punique, opposant Rome à Carthage, en 238 avant J.C, que Gaïa donne naissance à Massinissa. L’enfant, tout en apprenant le métier des armes dut recevoir une éducation princière, car descendant d’une lignée prestigieuse de rois Massyles. En effet ses ancêtres régnaient depuis plusieurs générations sur une grande partie de l’Algérie orientale et une partie de la Tunisie occidentale. Leur capitale était Cirta, l’actuelle Constantine. C’est tout naturellement que le jeune Massinissa part en Espagne pour combattre à la tête d’une armée numide aux côtés de ses alliés et voisins carthaginois. 
  
Massinissa se trouvait encore en Espagne quand son père, Gaïa mourut en 206 avant J. C. Il avait été alors contacté par des représentants de la République romaine qui cherchaient des alliés solides en Afrique pour pouvoir affronter Carthage. Devant l’alliance Carthage – Syphax qui prenait son territoire en tenailles, il fit un pacte d’alliance avec Scipion en 206-205. 
  
Ayant regagné l’Afrique pour faire valoir ses droits à la succession, il dut combattre ses rivaux qui avaient l’appui de Syphax , roi de la confédération des Massaessyles, qui régnait sur la partie occidentale de l’Algérie et qui avait pour capitale Siga, sur les rives de la Tafna. Les territoires Massyles furent envahi par Syphax qui réduisit Massinissa blessé à se réfugier en Tripolitaine. Là, Massinissa reconstitue son armée et engage avec l’armée de Scipion, débarquée en Afrique, les hostilités contre Carthage et Syphax. L’affrontement final a lieu à Zama en Octobre 202. La cavalerie numide avec à sa tête Massinissa joue un rôle essentiel dans la victoire. Carthage est vaincue, Syphax est blessé et fait prisonnier. Massinissa rentre dans Cirta et retrouve son trône. On dit qu’il retrouva la belle carthaginoise Sophonisbe qui lui avait été promise, mais qui fut mariée à Syphax en échange de son appui. 
  
Au lendemain de la victoire de Zama, Massinissa se trouve à la tête d’un vaste royaume qui devait s’étendre à l’ouest jusqu’au fleuve Moulouya. La limite orientale, elle, était mouvante et pendant un demi-siècle, Massinissa la fait reculer au détriment de Carthage considérant que ces possessions avaient appartenu à ses ancêtres. En 193, il soumet les villes de Tripolitaine. Cette politique de conquête fut entreprise par étapes. Il s’empara ainsi de nombreuses villes du littoral septentrional, de la côte du Sud Est et de la région des grandes plaines (Tunisie occidentale). Ces agrandissements territoriaux avaient entre autres conséquences de faire du royaume Massyle une puissance maritime héritière de l’ancien empire carthaginois. Depuis la Moulouya jusqu’à Tabarka, les ports numides, en plus de ceux qui jalonnaient les côtes de la petite Syrte et de la Tripolitaine assuraient le contrôle des exportations numides sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Une flotte de guerre importante protégeait les bateaux de commerce. Cette ouverture vers le commerce attira des marchands italiens, grecs, égyptiens, syriens… De ces échanges, il subsiste de nombreux témoignages littéraires, épigraphiques et archéologiques. 
  
C’est surtout avec Rhodes, grande puissance commerciale que les marchands numides commercent. Un marchand de Rhodes fit élever une statue à Délos en l’honneur de Massinissa. Celui ci avait offert aux Rhodiens du bois de thuya et de l’ivoire. A Cirta, des amphores rhodiennes trouvées dans des sépultures témoignent de l’importance du commerce grec. Les estampilles conservées sur les anses de la plupart des amphores permettent de les dater du IIe siècle avant l’ère chrétienne. Un autre marchand grec, qui se flattait d’être son ami, lui fit élever une statue à Délos. 
  
Nicomède, roi de Bithynie, lui éleva aussi une statue pour son attitude bienveillante : Massinissa avait envoyé un chargement de blé qui fut vendu au profit du temple d’Apollon. 
  
Massinissa réussit à imposer la paix à ses sujets, anciens et nouveaux. Il développa parmi eux l’agriculture qui les attacha à la terre et les enrichit. L’historien Polybe pouvait écrire « Voici ce qu’il fit de plus grand et de plus merveilleux ; avant lui, toute la Numidie était inutile et considérée comme incapable par sa nature de donner des produits cultivés. C’est lui le premier, lui seul qui montra qu’elle peut les donner tout autant que n’importe quelle autre contrée, car il mit en valeur de très grands espaces » Massinissa encouragea le travail de la terre aux dépens de l’économie pastorale, la vie sédentaire au détriment du nomadisme et l’habitat groupé et en dur à la place de la tente que l’on transportait de pâturage en pâturage. Des témoignages épigraphiques et littéraires reconnaissent à la Numidie une production céréalière abondante et même excédentaire. Strabon parle « des terres qui fructifient deux fois ; ils font deux récoltes l’une en été l’autre au printemps, la tige de la plante atteint une hauteur de cinq coudées et une grosseur égale a celle du petit doigt : le rendement est de 240 pour un ». Tite Live signale des quantités considérables de blé fournies par Massinissa aux armées romaines pendant les guerres contre Philippe, Antiochus et Persée. 
  
Si les céréales occupaient dans l’agriculture numide une place de choix, les arbres ne manquaient pas à la richesse des grands domaines. L’olivier, la vigne, le figuier, le grenadier. Tous ces arbres fruitiers étaient cultivés en Numidie surtout autour des grandes agglomérations comme Cirta, Theveste, Dougga ainsi que sur les côtes. La culture de la vigne est attestée à Gunugu (Gouraya) à l’Ouest de Cherchell alors qu’à Leptis Magna et dans la région de Theveste, il y avait de vastes étendues d’oliveraies. Par ailleurs dans les régions méridionales, les Numides cultivaient le palmier.
  
Les auteurs anciens vantaient les atouts de la Numidie en matière d’élevage de bétail .Parlant de cette contrée Polybe écrivit « l’abondance des chevaux, des bœufs, des moutons et des chèvres est telle que je ne pense pas qu’on puisse trouver rein de semblable dans tout le reste de la terre … la raison en est que beaucoup de tribus de la Numidie ne font pas usage de la culture mais vivent de leurs troupeaux ». Le cheval semble été l’objet d’une attention toute particulière de la part des rois Numides. Le fils de Massinissa, Micipsa, pouvait réunir autour de Cirta 10.000 chevaux. Le nombre de poulains recensés dans toute la Numidie était de 100.000 à la même époque. Ce cheval est montré au revers des monnaies royales. Son rôle dans la cavalerie numide fut déterminant. Il est l’ancêtre de notre cheval barbe Une inscription grecque fait état d’une victoire remportée par les chevaux de Mastanabal aux Panathénées de 168. 
  
La frappe de la monnaie se multiplie sous Massinissa et elle circule sur l’ensemble du bassin méditerranéen et bien au delà. Ces monnaies étaient en cuivre ou en plomb. Elles portaient à l’avers un personnage barbu (Massinissa) dont la tête était ceinte de lauriers et au revers, un cheval au galop ou plus rarement, un éléphant. Le nom de Massinissa (MSNSN) était inscrit au bas de la pièce. 
  
Le règne de l’Aguellid Massinissa est un record de longévité : 56 ans! C’est la stabilité qui en a résulté qui a permis le développement de l’agriculture et du commerce comme l’attestent la diffusion exceptionnelle de la monnaie et la multiplication des villes du Maghreb central. Ainsi s’installait sur la rive Sud de la Méditerranée une grande puissance qui pouvait rivaliser avec Rome. Cette dernière, consciente du danger, décida de prendre l’initiative en s’immisçant dans le partage du royaume de Massinissa quand il mourut en 148 avant J .C. 
De taille élevée, il garda une solide constitution et une étonnante vigueur. Il avait eu 44 enfants mâles. 
Tous les historiens vantent son endurance. Il était capable de rester debout ou à cheval toute une journée. Octogénaire, il sautait sur sa monture sans aucune aide. 
  
Le long règne de Massinissa n’est perçu qu’à la lumière des évènements qui intéressent Rome. Ils sont forcement orientés même si des auteurs comme Polybe, qui fut reçu par Massinissa en 150 ou Strabon chantèrent ses louanges. Ptolémée Evergète nous apprend que dans son palais de Cirta, il présidait des banquets dignes d’un souverain hellénistique. Tite Live nous apprend que Mastanabal était instruit dans les lettres grecques. Il nous renseigne fidèlement sur les contingents que Massinissa met à la disposition de Rome contre ses ennemis. Mais Massinissa tenait à l’indépendance de son pays. Tite Live affirme que le grand Aguellid proclamait que l’Afrique devait appartenir aux Africains et c’est dans cet esprit qu’il entreprit de reconquérir les terres prises par Carthage qu’il considérait comme étrangère à l’Afrique. 
  
Les documents archéologiques et épigraphiques sont peu nombreux pour donner le véritable éclairage de ce passé numide. Les tombeaux du Médracen ou du Khroubs ou encore le mausolée de Dougga donnent la mesure architecturale de cette période. De même les nombreuses pièces de monnaie trouvées dans la région de Constantine ou du côté de Siga nous éclaire sur le règne de Massinissa. Mais cela reste insuffisant au regard de l’épopée de ce monarque d’exception à qui l’on attribue la pratique de l’écriture libyque. 
  
Stéphane Gsell put dire de lui qu’« il fut en un frappant raccourci, le plus grand entre les plus grands souverains de la Berbèrie, l’Almoravide Youcef Ibn Tachfin, l’Almohade Abd El Moumen Ibn Ali, le chérif marocain Moulay Ismaïl qui à bien des égards lui ressemblèrent. Il étendit ses états de la Maurétanie à la Cyrénaïque, il amena de très grosses sommes d’argent, il entretint des troupes nombreuses et aguerries. Il propagea l’agriculture et développa la vie urbaine. Grecs et Romains reconnurent en lui un vrai monarque…… »

Bio express : 
- Docteur en histoire et archéologie recherchés 
- Auteur de nombreuses publications relevant de sa spécialité et d'ouvrages "Histoire d'El Djazaïr Beni Mazghenna" 400 pages de texte et photos, edition Dalilmer Juin 2008, 1er prix littérature du salon International du livre algérien, 2008 "Cirta, Constantine, la capitale céleste", 472 pages de texte et photos, édition Colorset, Alger 2011. "Tlemcen, capitale du Maghreb Central" 424 pages, édition Colorset, Alger, Septembre 2011. 
- Directeur de nombreuses thèses de doctorants 
- Directeur du Patrimoine Dulturel au Ministère de la Communication et de la culture 1999-2001.

vendredi 3 février 2012

El Watan 3 fevrier 2012


NOTE DE LECTURE : TLEMCEN, CAPITALE DU MAGHREB CENTRAL

Par Nassima Oulebsir

De la préhistoire jusqu’à sa musique, en passant par son nom, son commerce, sa monnaie, ses légendes, ses croyances, sa population et sa vie culturelle, Tlemcen est retracée dans ses plus petits détails par Abderrahmane Khelifa dans son nouveau livre. Paru aux éditions Colorset, Tlemcen, Capitale du Maghreb central* passe en revue, sur 420 pages, tous les événements qui ont marqué l’histoire de la ville : Pomaria de l’époque romaine puis Agadir du VIIe au XIe siècles où la ville abrita le fameux conquérant de la péninsule ibérique, Tariq Ibn Ziyad, puis Abu Qorra l’Ifrénide. La ville se déplaça légèrement vers l’ouest avec la fondation de Tagrart l’almoravide puis son agrandissement avec la Tlemcen des Almohades et des Zayyanides jusqu’à l’occupation par les Mérinides, les Espagnols puis les Ottomans. Durant toute cette période, Tlemcen était un centre commercial dont les ramifications allaient jusqu’à Tombouctou, Gao et Oualata grâce à l’audace des frères El Maqqari. Bien sûr, les savants de Tlemcen tiennent une place importante dans l’ouvrage, à l’instar des frères Ibn Khaldoun qui enseignèrent à Tlemcen ou de Sidi Boumedienne, le pôle du soufisme. Dans un deuxième temps, l’auteur raconte l’histoire de la ville et de ses monuments, les secrets des fondouks, les bains, les palais, les quartiers, les qobbas, El Eubbad, Mansourah, les remparts et les portes de la ville, le Mechouar, la Qaïsariya, Tagrart, Agadir et la route de l’or de Tlemcen au Soudan. Photos et récits, tout est là pour expliquer et découvrir la vraie âme de Tlemcen… Ce livre est le quatrième d’une série sur les villes algériennes (Alger, Honaïne et Constantine).
* Chez Colorset

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Tlemcen capitale du Maghreb central


Abderrahmane Khelifa

Tlemcen. Un archéologue dénonce

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le 03.02.12 | 01h00 1 réaction
Tlemcen. Un archéologue dénonce

«Actuellement, je prépare un ouvrage sur la ville de Béjaïa qui sera de la même veine que celui dédié à la ville de Tlemcen. Il sera publié cette année. Je retracerai Béjaïa depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Je raconterai tout au long des photos son histoire et ses évènements à travers ses monuments.»

Vous dites que Tlemcen, à l’instar des autres villes, n’arrive toujours pas à se doter d’une vraie politique de restauration et de sauvegarde du patrimoine…
On dit généralement que la wilaya de Tlemcen représente 80% du parc archéologique en matière de monuments historiques musulmans. En visitant ces monuments, j’ai pu me rendre compte qu’un grand nombre d’édifices en voie de restauration étaient dépourvus d’une surveillance qui assure la qualité de la restauration. Pas un architecte ni un archéologue. Les ouvriers travaillent sans aucune directive. Ce fut le cas à la mosquée d’Agadir (VIIIe siècle), à Sidi Daoudi (IXe siècle), sur les remparts d’Agadir, à Sidi Belahcen. On a décapé des sols et personne n’était là pour noter les couches archéologiques découvertes ! A Mansoura (XIIIe-XIVe siècles), les émaux qui ornaient le minaret ont été remplacés par des carreaux de cuisine, et l’emplacement des piliers ne respectait pas l’alignement originel. Pourtant, il suffisait de regarder la trace archéologique sur les murs en pisé ! Tous ces détails montrent qu’il s’agit bien d’une restauration faite en vue d’un évènement. Cela a été fait simplement pour dépenser de l’argent. S’est-on assuré des qualifications et a-t-on établi un cahier des charges rigoureux avant de donner un monument à restaurer ? A-t-on exigé une présence indispensable pour des monuments de classe internationale comme c’est le cas pour la mosquée de Sidi Belahcène (XIIIe siècle) ? Pourtant, l’opportunité était extraordinaire de prendre en charge sérieusement ce patrimoine. Le chantier de fouilles du Mechouar, qui aurait pu donner des informations essentielles sur la dynastie zayyanide, s’est arrêté à peine entrepris. Un véritable chantier école aurait pu être organisé sur toute une année. Il aurait été l’occasion de former de nombreux jeunes sortis de l’université au métier de l’archéologie. Le vrai patrimoine n’a pas été touché. Ce sont des opérations tape-à-l’œil. Au moment où le secteur de la culture bénéficie d’une enveloppe suffisamment conséquente, on aurait pu penser que des opérations sur le long terme allaient être entreprises pour régler de façon professionnelle la mise en valeur de ce patrimoine prestigieux. Allez voir la mosquée d’Agadir dont nous sommes, avec mon ami Saïd Dahmani, les découvreurs. Les manoeuvres, qui travaillent à reconstituer les piliers de la mosquée, le font sans aucune directive d’un archéologue ou d’un architecte. Regardez le mausolée de Sidi Daoudi qui fut le premier patron de Tlemcen. Il a bénéficié d’une opération de restauration, mais dans quelles conditions ? Le catafalque est plein de ciment et de plâtre, il est jeté pêle-mêle parmi les brouettes, les pelles, les madriers, etc. Sidi Daoudi s’est effectivement retourné dans sa tombe !

Les sites en danger peuvent-ils être sauvés ?
Je ne sais pas. Il y a un gâchis. Réversible ou non, l’avenir nous le dira. Ce patrimoine doit être restauré en dehors de toute précipitation, car l’histoire a besoin de temps. Il faut que ça soit fait dans le cadre d’études approfondies et scientifiques, mais pas dans l’anarchie et d’une manière superficielle. Des participants à un colloque à Tlemcen ont été effarés par ce qui a été fait à Mansoura. Pourra-t-on rattraper cela une fois que les lampions seront éteints ? Des quartiers ayant gardé leur authenticité sont totalement délaissés et tombent en ruine comme à Derb Messoufa qui abrite la petite mosquée de Sidi Senouci ou encore Derb Sensla et Sidi El Yeddoun. Ces quartiers bénéficieront-ils d’une restauration dans les normes ? Car ces monuments sont des témoins de notre histoire. Nous nous devons de les transmettre aux générations futures.

«Tlemcen capitale de la culture islamique» n’a donc pas été bénéfique pour le patrimoine et sa valorisation ?
Oui et non. Ce devait être l’occasion de rassembler tous les experts et spécialistes algériens pour débattre de la meilleure façon d’appréhender les meilleures solutions à la mise en valeur de ce patrimoine architectural, d’autant que les moyens financiers, pour une fois, existaient. Savez-vous par exemple que des spécialistes de Tlemcen n’ont pas été invités aux différents colloques ? On peut se poser des questions... 
Nassima Oulebsir