samedi 21 juillet 2012


Abderrahmane Khelifa, historien, archéologue et écrivain

“La colonisation : une grande entreprise de déstructuration”

Par : Hafida Ameyar
Le 5 Juillet 1962 fut l’aboutissement de la lutte du peuple algérien pour le rétablissement de sa souveraineté. Le peuple était en liesse dans sa très grande majorité : l’espoir était grand de reconstruire un pays avec le maximum de justice sociale et de dignité. En effet, cette date marque la fin de 132 ans d’occupation coloniale faites de brimades et de dépersonnalisation. Elle fut choisie par les dirigeants algériens pour faire pendant au 5 Juillet 1830, date de la capitulation du Dey d’Alger et de l’entrée des Français dans Alger par Bab Djedid.
Si l’on situe l’évènement dans le temps historique, on peut dire que c’est un long processus qui, depuis 1830, se développe par toute une série de résistances qui se succèdent, les unes après les autres, à un rythme effréné qu’on ne peut citer, tellement elles furent nombreuses. Toutefois, on peut signaler la lutte de l’Émir Abdelkader (1832- 1847), la résistance de Constantine (1837), la résistance du Constantinois (1837-1848), de l’Aurès et du Sud (1848), la résistance des Zâatchas dans les Zibans, à 35 km au sud-ouest de Biskra (1848), la résistance de la Kabylie (1851-1857), la révolte de Mokrani et de cheikh Haddad (1871), la révolte de Bou Amama (1883), la révolte de Bab El-Assa (1907) à l’ouest, à la frontière algéro-marocaine et celle de Miliana -Margueritte (1916)-, avec tout ce que cela comporte comme enfumades, exils, déportations vers la Nouvelle Calédonie et Cayenne. Lors de cette conquête, les morts pendant les différentes résistances (1830-1890) qui se sont succédé, sont évaluées par les historiens entre un quart et un tiers de la population. En 1830, la population était évaluée à 3 millions. En 1845, elle n’était plus que de deux millions. Les famines de 1867-68, 1877-78, 1893, ajoutées aux épidémies de typhus et de choléra, vont l’affaiblir davantage. Les officiers de l’époque eurent des attitudes très contestables, à l’image des Lamoricière, Montagnac, Saint Arnaud, dont les lettres décrivent avec cynisme l’horreur des villages brûlés, des femmes violées, des enfants mutilés…

Les colons ont accaparé le tiers des terres
Ce ne fut qu’à la fin du XIXe-début du XXe  siècle que la population algérienne commença de nouveau à progresser. La dépossession des terres pour punir les tribus révoltées, l’accaparement des terres par des moyens juridiques (Senatus consulte de 1863 et loi Warnier de 1873) ont permis aux colons de s’approprier près de 3 millions d’hectares parmi les terres les plus fertiles sur les 9 millions d’hectares cultivés. La seule révolte de Mokrani mit sous séquestre plus de 500 000 hectares au profit des colons. Cela entraîna la paupérisation de la paysannerie et le déplacement de populations loin de leurs terres. En fait, la société algérienne eut affaire à une grande entreprise de déstructuration et de dépersonnalisation après 1830. L’Algérien qualifié d’"indigène", étant considéré comme un sous-homme à qui l’on apportait la civilisation. On oublie assez légèrement ce long et pénible combat qui a mené un jour de juillet à la liberté et à la dignité. Les  résistances de 1830 à 1916 et au-delà, sans oublier les massacres de Sétif, Guelma,  Kherrata, Amoucha… sont dans la continuité de tous les mouvements de protection de la personnalité et du pays depuis l'époque de Jugurtha à nos jours, en passant par le Moyen-âge et la période ottomane. À partir du XXe siècle, le peuple algérien a essayé le combat politique par la création de partis politiques comme l’Étoile nord-africaine (1924-1936), le Parti du peuple algérien (PPA), l’Association des Ouléma (1931-1956), l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA, 1946-1956), le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD, octobre 1947). Ces tentatives furent vouées à l’échec par le parti des colons (*) qui voulait garder ses privilèges. Les hommes de Novembre (FLN-ALN, 1954-1962) furent les continuateurs de ce long processus de résistance armée et politique qui aboutit à la libération du pays.

Un contexte favorable à la décolonisation
Les années soixante étaient favorables à la décolonisation. Cette dernière avait fait son chemin avec le vent de liberté qui soufflait  sur les pays du tiers monde : la révolution égyptienne (1952), la victoire des Vietnamiens à Diên Biên Phu (mai 1954), la conférence de Bandoeng (avril 1955). L’ensemble du continent africain en ressentit les effets. Le monde arabe, dans sa totalité, soutenait le combat libérateur ; le bloc soviétique et les pays de l’est apportaient leur aide. L’opinion publique des pays occidentaux s’émut de ce combat libérateur et de la torture pratiquée. Aussi, la question algérienne fut constamment posée à l’ONU, à partir de 1955, grâce à une diplomatie active. L’Algérie disposait d’un capital sympathie très important dans sa lutte pour exister, et la grande majorité des pays saluèrent la venue de notre pays dans le concert des nations. L’indépendance de l’Algérie et celle de la plupart des pays colonisés étaient l’aboutissement de toutes ces luttes, que Fanon avait bien décrit dans ses ouvrages. Elle eut un retentissement international et, à ce moment, l’Algérie était considérée à juste titre comme la Mecque des pays opprimés, grâce à son aide pour les pays encore colonisés.                                     .

“Sab’â snin barakat !”
La pauvreté du peuple algérien, exténué par huit ans de guerre, le départ des pieds noirs et des personnels techniques (enseignants, ingénieurs, médecins…), le sabotage des usines et du matériel, l’incendie volontaire de la Bibliothèque universitaire, laissait un pays exsangue.
Malgré cela, la population algérienne exprima sa joie dans tout le pays, car chaque famille avait payé le tribut de l’indépendance et récoltait les fruits d’un avenir radieux qui lui permettait de recouvrer sa personnalité et sa dignité. L’espoir était immense malgré les manifestations populaires demandant l’arrêt des affrontements fratricides entre armée des frontières et djounoud de l’intérieur : “Sab’â snin barakat !” (sept ans, ça suffit). En effet, la lutte pour le pouvoir faisait rage entre les différents clans. Les différents congrès n’avaient pas réussi à trouver un consensus, quant à la politique à suivre par le nouvel État.
Cinquante ans après, nous avons une idée des enjeux de l’époque pour la prise du pouvoir, et les livres qui paraissent maintenant çà et là lèvent timidement le voile sur des vérités dures à accepter.

Que sont devenus les idéaux de Novembre ?
Nous sommes loin de l’espoir suscité par l’indépendance. Bien sûr, le taux d’alphabétisation a augmenté sensiblement. Bien sûr que le niveau de vie de l’Algérien a augmenté, bien sûr qu’il a accès aux soins… Mais, avons-nous concrétisé les idéaux de Novembre ? Avons-nous construit l’Algérie telle que l’imaginait Larbi Ben M’hidi ou Abane Ramdane ou même les fondateurs de l’Étoile nord-africaine, qui rêvaient déjà d’une Afrique du Nord unie? Les richesses du pays sont-elles réparties de façon équitable ?
Dans les années 70, on pensait être au même niveau de vie que l’Espagne… Pourquoi l’Algérien fuit-il aujourd’hui son pays et change-t-il de nationalité, alors que celle-ci a été chèrement acquise ? Pourquoi réussit-il ailleurs et pas chez lui ? Est-ce à dire que le combat des fils de Novembre aura été vain ?  Si je prends le seul angle de l’histoire, on peut se demander si le peuple algérien est en droit de connaître son histoire, toute son histoire, cinquante ans après son indépendance. Pourquoi occulte-t-on l'écriture et la connaissance de toutes les séquences de l'histoire nationale, depuis les origines les plus reculées, pour justement cimenter une personnalité riche et variée ? Pourquoi nos archives ne sont-elles pas ouvertes aux chercheurs algériens ? Pourquoi le nombre de colloques sur le "Cinquantenaire" sont beaucoup plus nombreux de l’autre côté de la Méditerranée ?
Il y a priorité à reconstruire le pays dans toutes ses dimensions : politique,  économique, mais surtout identitaire et culturelle. Il faut espérer que les générations futures seront à même de construire une Algérie capable de retenir ses enfants et marchant résolument vers le progrès, pour être à la hauteur de la génération de Novembre.

H. A.


(*) Le parti des colons n'existait pas en tant que tel, mais il était appelé ainsi, car la puissance des colons influait sur les politiques faites à Paris

mercredi 11 juillet 2012


Avec un plan de sauvegarde dans les tiroirs
La Casbah d’Alger se meurt
L’accès à l’ancienne médina d’Alger, à partir de Bab Azzoun ou de la mosquée Ketchaoua, permet à tout visiteur, averti ou profane, de voir une cité millénaire dégradée et quasiment figée dans une position d’éternelle attente, avec l’espoir tout de même de pouvoir renaître un jour de ses cendres.
La Casbah d’Alger, cité antique classée patrimoine mondial, demeure dans un état vétuste stationnaire surtout dans sa partie basse menaçant ruine, en attendant les premiers effets du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur, adopté par le gouvernement en février 2012.
L’accès à l’ancienne médina d’Alger, à partir de Bab Azzoun ou de la mosquée Ketchaoua permet à tout visiteur, averti ou profane, de voir une cité millénaire dégradée et quasiment figée  dans une position d’éternelle attente, avec l’espoir tout de même de pouvoir renaître un jour de ses cendres.
Les ruelles étroites et les maisons encore debout offrent, dès l’abord, un spectacle rebutant et font effet de repoussoir puissant : tas de gravats partout, herbes sauvages, façades béantes, ornements irrémédiablement défraîchis, égouts éclatés par endroits, amas de détritus en tous genres...
Pour navrant qu’il soit, ce paysage ne réussit cependant pas à faire oublier les trésors que renferme encore, au double plan matériel et symbolique, ce haut lieu d’histoire et de mémoire du vieil Alger, appelé «El Mahroussa» (La Bien gardée) sans vraiment mériter ce nom au regard de son état actuel.
La partie basse de ce site antique – qui recouvre plus de 600 maisons et abrite encore 50 000 habitants sur une superficie de plus de 100 hectares – est déjà considéré comme un lieu à haut risque d’effondrement.
Ce qui semble être une simple impression est confirmé par l’historien Abderrahmane Khelifa.
Selon lui, La Casbah d’Alger, avec tout ce qu’elle renferme comme maisons et monuments, est quasiment «menacée de disparition» si les travaux de restauration n’interviennent pas sans plus tarder.
Les textes de loi et décrets adoptés pour sauver La Casbah d’Alger «n’ont pas l’effet d’une baguette magique» tant que «la volonté de sauvetage de cette cité millénaire est absente», estime ce spécialiste en histoire et en archéologie, auteur de plusieurs livres sur des villes algériennes.
Le site n’est pas totalement désert, même si des maisons en ruine ont dû être abandonnées par leurs propriétaires.
Le lieu est encore récupérable et peut devenir un site à la fois résidentiel et touristique si le plan permanent de sauvegarde est mis en œuvre dans les plus brefs délais, s’accordent à dire des habitants interrogés par l’APS.
Ils mettent ainsi tout leur espoir dans le plan de sauvegarde de La Casbah d’Alger, site historique classé patrimoine national en 1991 puis patrimoine mondial de l’Unesco en 1992.
Pour eux, l’adoption dudit plan aura force de loi pour empêcher toute opération de restauration individuelle qui pourrait altérer l’aspect architectural authentique de La Casbah.
 Mais où est donc l’Agence nationale des secteurs sauvegardés ?
La mission d’exécuter le plan, décliné en trois étapes, revient à l’Agence nationale des secteurs sauvegardés, créée par décret en janvier 2011 et dont le directeur général n’est pas encore désigné.
La ministre de la Culture, Khalida Toumi, avait fait savoir en mars dernier que les procédures de nomination du directeur de cet établissement public chargé de l’application du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de La Casbah d’Alger et des autres secteurs sauvegardés en préparation, étaient en cours.
Cette Agence est nécessaire pour la mise en œuvre du plan grâce à une approche en partenariat entre le mouvement associatif et les pouvoirs publics, avait-elle relevé en assurant qu’une équipe composée d’architectes, d’archéologues et de juristes est installée à la citadelle d’Alger pour l’application du plan de sauvegarde de La Casbah, en attendant la nomination du directeur de l’Agence. Des représentants d’associations qui œuvrent pour la sauvegarde de La Casbah, dont la Fondation Casbah, présidée par Belkacem Babaci, et l’association des propriétaires d’immeubles de La Casbah d’Alger dirigée par Ahmed Ouada, attendent «avec impatience» le lancement des travaux de restauration car, estiment-ils, «toutes les conditions sont réunies» pour ce faire.
«Ce n’est pas en annonçant l’adoption d’un décret qu’on fera en sorte que les murs ne tombent plus, il faut passer à l’action et savoir pendre les bonnes décisions et y impliquer les compétences», peste, de son côté, l’historien Khelifa en relevant la persistance d’un «grand précipice» entre l’intention et l’action.
A ce propos, il cite l’exemple de l’effondrement en mars dernier d’un pan d’une vingtaine de mètres de la muraille de la citadelle d’Alger, siège de plusieurs monuments historiques dont le Palais du Dey, pour exprimer son inquiétude des possibles conséquences de cet effondrement sur le reste du site, d’autant plus que, dit-il, «rien n’y a été fait depuis plus de vingt ans». Il déplore aussi la fermeture de ce lieu historique, témoin du célèbre et historique «coup d’éventail» de 1827, au large public depuis plusieurs années pour «travaux de restauration».
Insistant, il affirme que «rien n’a été fait de concret pour sauver ce site qui menace ruine» à part des échafaudages comme c’est le cas pour l’ensemble du bâti et autres vestiges de La Casbah.
Une lueur d’espoir tout de même : en avançant vers la partie haute de la vieille ville, la vie reprend ses droits à entendre les doux bruissements des écoliers, les tintements des marteaux d’artisans à pied d’œuvre pour réparer ce qui peut l’être, ou encore les arômes de café ou de galettes chaudes qui se dégagent de certaines maisons encore occupées malgré les risques.
Il reste qu’en sillonnant les ruelles de La Casbah de bas en haut, rien n’indique que des travaux de restauration sont entamés en vertu dudit plan, mis à part les étaiements de bois placés pour consolider les murs des bâtisses fragilisées, juste pour parer à l’urgence, un état d’urgence qui dure.
Par Afifa Gh.

mardi 10 juillet 2012


Football / CAN 2013 : La Libye au menu des Verts    -     Transport-Festivités du 5 juillet : les horaires de circulation du métro et du tramway d'Alger prolongés jusqu’à 1h30 du matin pour les journées du 4, 5 et 6 juillet    -     Football-CAN-2013 (éliminatoires-3e tour-tirage au sort) : l'Algérie dans le pot A     -     Banques-entreprises-dette : près de 7 milliards de DA de crédits rééchelonnés au 31 mai     -     Parlement-APN : clôture de la session de printemps     -     Conseil de la Nation : clôture de la session de printemps     -     Athlétisme-18es championnats d’Afrique : le Kenya champion d’Afrique par équipes, l'Algérie en 6e position avec 6- Algérie avec 2 médailles en or, 4 en argent et 17 en bronze    -     Algérie-Mali: le ministre des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci s'entretient avec le ministre malien des Affaires étrangères, M. Sadio Lamine Sow    -     Football-Ligue des champions arabes : l'USM Alger et le CR Belouizdad invités de l'UAFA     -     Météo : des températures élevées atteignant ou dépassant localement 40°C affecteront les wilayas de Jijel, Skikda et Annaba    -     Algérie-République Soudan : le Premier ministre, Ahmed Ouyahia reçoit l'envoyé spécial du président soudanais Omar El-Bachir     -     «Algérie, cinquante ans après : libérer l’Histoire»    -     Drogue / Lutte : Saisie de près de deux tonnes de kif traité à Chigueur dans la wilaya de Tlemcen.    -     Afrique / Sécurité : Ouverture à Alger des travaux du Comité international des services de sécurité en Afrique     -     «Algérie, cinquante ans après : libérer l’Histoire»    -     Accident de la route : Deux morts et sept blessés dans un accident de la route à Naama     -     Produits pharmaceutiques / Importation : Hausse de près de 40% des importations les 5 premiers mois 2012     -     Terrorisme / Procès : Procès jeudi de 12 terroristes dont Hassan Hattab, Saifi Amar et Droukdel     -     Justice / Procès : La Cour d'Appel d'Alger confirme la peine contre le DG de Sanofi-Aventis     -     Rencontre internationale «L’Algérie, 50 ans après : libérer l’Histoire»    -    

Les fontaines de La Casbah d’Alger

Source de vie et... d’espoir pour le renouveau de la vieille médina

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Par Algérie presse service
Voir l’eau couler des quelques rares fontaines encore en fonction dans les ruelles de La Casbah d’Alger avec leur décoration originelle propre à l’époque ottomane, quoique défraîchie par endroits, atteste que le cœur de l’ancienne médina ne s’est pas arrêté de battre faisant oublier un instant ce fait que les grands travaux de restauration de la cité tardent à démarrer.Six seulement des quelque deux cents fontaines datant du VXIe siècle ont résisté à l’usure du temps et continuent d’alimenter les gens en eau potable fraîche : Aïn Sidi Ramdane, Aïn M’zaouqua, Aïn Bir Djebah, Aïn Sidi M’hamed Chérif, Aïn Sidi Benali et Aïn Bir Chebana. Ces «sources de vie» d’antan, qui portent des noms calligraphiés sur de la céramique pour certaines, des carreaux de faïence d’origine ou encore des colonnes en marbre pour d’autres, coûlent en continu pour le plus grand bonheur des riverains comme des simples passants.Très appréciée comme durant des siècles, l’eau pure qui jaillit de ces fontaines sert toujours malgré le raccordement de toutes les demeures au réseau moderne d’alimentation en eau potable mais leur état de conservation mériterait peut-être plus d’attention, s’accorde-t-on à dire.Les six fontaines donnent, à première vue, l’apparence de petits monuments historiques bien conservés n’étaient les touffes de mousse qui les envahissent ici et là, les carreaux de faïence fissurés pour certaines ou carrément décollés par endroits pour d’autres. En plus, les robinets bon marché montés sur ces ouvrages séculaires cadrent mal avec l’esthétique de la décoration d’origine.Selon des natifs de La Casbah, c’est un peu le résultat de «l’indifférence» de la population en place composée majoritairement d’«indus occupants» des maisons encore debout.Servie gracieusement par la nature et destinée à de petits usages, l’eau des fontaines est outrageusement utilisée aussi pour divers nettoyages et autres grands travaux par simple branchement, peste Hadj Zoubir, pour qui, «au-delà de la restauration du bâti de La Casbah, le civisme de sa population est aussi à l’origine de pas mal de désagréments».
 
Fontaines disparues, souvenirs vivaces
L’historien Abderrahmane Khelifa, auteur de plusieurs livres sur des villes algériennes, rappelle que La Casbah d’Alger comptait à l’origine 175 fontaines intégrées dans un système hydraulique «très élaboré» et alimentées par quatre aqueducs. En plus, note-t-il, elles étaient «toutes bien décorées avec des inscriptions mentionnant la date de leur fondation». Selon lui, la remise en service et la restauration des quelques fontaines taries est «quelque chose de facile», car il s’agit d’édifices «non compliqués».A ce propos, l’architecte Nabila Chérif, qui a mené en 2008 une recherche sur les bains et les fontaines d’Alger de l’époque ottomane, affirme qu’il n’y a aucune difficulté technique à restaurer une fontaine même si cela nécessite un vrai travail d’artisan tout en jugeant utile d’identifier d’abord «très clairement» la valeur historique ainsi que la toponymie de chaque fontaine.Pour récupérer les fontaines disparues dont les emplacements se sont transformés pour la grande majorité, selon ses dires, en «dépotoirs», elle propose d’essayer d’imaginer des scénographies de manière à rappeler l’emplacement d’une fontaine disparue à partir du réseau d’alimentation en eau.S’abreuver d’eau fraîche à volonté, remplir chaque jour des jarres entières pour ravitailler la famille, rencontrer les amis et voisins autour d’une source d’eau naturelle, voilà les premiers souvenirs qui se bousculent dans l’esprit encore vif du vieux Abderrahmane Hammou lorsqu’il évoque la fontaine Aïn Bir Chebana, tout près de chez lui dans cette médina qui l’a vu naître en 1927. Quand il parle de cette fontaine encore en marche, c’est le savoir-vivre et la cohésion sociale dans laquelle baignaient les habitants du vieil Alger ainsi que la douce nonchalance des porteurs d’eau, appelés «Biskris», qui lui reviennent, car ces scènes reflètent pour lui des moments irremplaçables d’une vie modeste, paisible et sereine.Remplir de l’eau de cette fontaine faisait partie des tâches qu’il accomplissait avec plaisir à la sortie de l’école, sans bousculade ni longue queue, encore moins de chamailleries. «Tout allait de soi, à l’époque», résume-t-il avec nostalgie.
Entre utilité, efficacité, esthétique et nostalgie, les fontaines encore «vivantes» de La Casbah d’Alger interpellent les regards, font oublier, le temps d’une visite, l’état délabré dans lequel se trouve la plus grande partie de l’ancienne médina et redonnent l’espoir de revoir un jour ce site historique renaître de ses cendres.
APS

Débat sur le patrimoine à la Bibliothèque communale de Bouira

Journée de formation sur le patrimoine archéologique à Tubirets

 

in le Jour d'Algérie du Samedi 29 mars 2008

L’histoire de notre pays est un tout et il n’est pas bien d’entendre dire que telle époque, qu’elle soit romaine, ottomane, byzantine, arabe, almoravide ou hispanique est préférable à l’autre.
Nous croyons que c’est dans notre diversité que nous tirons notre rassemblement, force et homogénéité. Il ne faut pas que les considérations idéologiques nous embrigadent dans des jugements malsains, il est question de connaître son histoire pour s’identifier et savoir d’où nous venons et où nous allons. En somme, c’est le thème de la rencontre qui a eu lieu récemment à la bibliothèque communale de la ville de Bouira, organisée par l’association Histoire et archéologie et encadrée par le docteur Abderrahmane Khelifa, chercheur, archéologue, historien. Cette initiative rentre dans le cadre de la formation des jeunes dans le domaine du patrimoine historique et bien entendu de la reprise de la mémoire collective.
Pour illustrer au mieux le contexte, le professeur Khelifa a axé son intervention sur la mise en valeur des plus importantes villes du pays qui regorgent de vestiges historiques antiques. A l’exemple de la ville de Constantine, la ville berbère a été prise pour exemple tant son passé remonte loin dans le temps où elle s’appelait la Cirta des numides, comme Syphax, Massinissa et Jugurtha prouvent que l’Algérie avait réellement une civilisation, la langue berbère étant considérée comme la plus ancienne de la région, elle date de 300 ans avant JC selon l’orateur. La ville de Batna recèle des fragments d’histoire qui méritent de faire partie du patrimoine universel, nous bénéficierons ainsi du savoir-faire d’experts étrangers dans leurs réfections et d’une aide financière par les organismes concernés, afin de sauver ces vestiges historiques de la décrépitude. Contrairement aux grecs qui nous traitaient d’État barbaresque, parce que pour eux tout ce qui n’était pas grec était considéré comme «barbarus» c’est à dire attardé. Le conférencier a ensuite parlé de la capitale Alger qui, d’après lui, ne reflète pas vraiment son véritable nom, soulignant qu’il était grand temps de restaurer, avant leur disparition, ses sites historiques qui font d’elle une citadelle aux merveilleux palais, mosquées, casbah, bastions..., lesquels se trouvent malheureusement dans un état de délabrement avancé provoqué aussi par les aléas du temps. Sétif, une autre ville que le célèbre archéologue Khelifa qualifia de légendaire par la présence sur son sol de pas moins de sept (7) monuments historiques dont la classification au patrimoine mondial a été proposée à l’UNESCO. Ainsi, ces sites seront protégés par les statut y afférents et jouiront de toute l’attention des spécialistes du domaine pour leur maintien. La ville de Souk Ahras a vu naître l’érudit Saint Augustin qui a, selon l’historien, dépassé l’entendement en matière d’études dans le monde où plus de 50 000 livres et publications ont été édités, les unes d’ordre biographique, les autres d’ordre analytique. En conséquence, revendiquer le patrimoine d’Apulée est plus qu’une nécessité, un devoir. Pour étayer son argument, l’intervenant a raconté un fait qui s’est produit lors d’un séminaire dédié à Saint Augustin quelque part en Algérie. Des invités du monde entier ont afflué, les invités tunisiens n’ont pas daigné honorer de leur présence l’événement, parce que tout simplement ils croient dur comme fer que Apulée appartient à leur histoire, alors qu’ils savent pertinemment qu’il est Algérien. Certes, Souk Ahras est frontalière avec la Tunisie mais pas au point de vouloir revendiquer une paternité qui n’existe pas. Une manière de montrer à quel point le legs de Saint Augustin suscite convoitises et jalousies. Le professeur Abderrahmane Khelifa est parlé ensuite à la ville de Tlemcen dans laquelle, a-t-il indiqué, il avait procédé à des travaux de fouilles et découvert lors de son expédition des fragments de l’une des premières et plus anciennes mosquées construites vraisemblablement dans le pays et qui porte le nom de la mosquée Agadir. Le chercheur a été à l’origine de cette importante localisation.
Après avoir dénombré toutes ses richesses et en mis en exergue d’autres vestiges historiques se trouvant à Alger, Tipasa, Ghardaïa,…l’éminent archéologue est revenu, à la fin de son exposé, sur les repères historiques que renferme la wilaya de Bouira et qu’il a classés en trois dimensions. Il a précisé aux étudiants que la région de Bouira représente la richesse végétale, minérale, culturelle et historique. Ces jeunes étudiants de Bouira ne mesuraient pas la valeur de cet héritage considérable, ou du moins, ne connaissaient pas le grand patrimoine que recèle la région. Ainsi, le chercheur a encouragé les jeunes étudiants à mettre en valeur les ressources historiques inestimables de leur région, il cita comme exemple la ville de Sour El Ghozlane qui fourmille de vestiges historiques retraçant diverses époques, romaine, turque, française, berbère... Et ce n’est pas un canular ou un conte de fée, lorsque nous racontons que le tombeau de Massinissa est érigé du côté d’El Mokrani, une localité située à quelques kilomètres de Sour El Ghozlane où il combattit l’envahisseur romain jusqu’à sa mort héroïque. Subsistent encore dans cette ville antique, les trois légendaires portes : Bab Essebt, Bab El Djazeir et Bab Boussaâda. Edifiées en forme d’arc, les trois portes se maintiennent comme par miracle. Elles ont résisté vaillamment au temps. Toujours dans cette ville se trouvent les grandes murailles d’Auzia datant de l’occupation romaine et la mosquée El Atik. Ces repères historiques demeurent encore mais ils nécessitent un grand entretien qui fait malheureusement défaut. Pratiquement tous les vestiges historiques sont dans état déplorable et d’abandon. Le secteur de la culture avait, à maintes reprises, assuré de les restaurer et est même allé plus loin en décidant la création d’un musée d’histoire dans la ville de Sour El Ghozlane lors de la dernière visite de la ministre de la Culture dans cette région, eu égard à l’important legs historique qu’elle recèle. Selon toute vraisemblance, 13 sites historiques auraient été dénombrés dans la wilaya de Bouira, mais nous pouvons penser à plus, en l’absence de travaux de fouilles consentis dans la région, malgré la présence de cités antiques à l’instar de Sour El Ghozlane. La ville de Bouira n’est que le prolongement de Sour El Ghozlane avec ses sites archéologiques à sauvegarder. Nous ne citerons que le célèbre fort turc situé à Draâ El Bordj et l’ancienne église qui a été transformée en école de musique mais qui garde encore son cachet initial. Il existe une autre église dans la ville de Aïn Bessem qui semble être en meilleur état.
Farid Haddouche

dimanche 8 juillet 2012


La Casbah d’Alger attend la mise en oeuvre du plan permanent pour sa sauvegarde
MOIS DU PATRIMOINE 2012
ALGER - La Casbah d’Alger, cité antique classée patrimoine mondial, demeure dans un état vétuste stationnaire surtout dans sa partie basse, menaçant ruine, en attendant les premiers effets du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur, adopté par le gouvernement en février 2012.
L’accès à l’ancienne médina d’Alger, à partir de Bab Azzoun ou de la mosquée Ketchaoua permet à tout visiteur, averti ou profane, de voir une cité millénaire dégradée et quasiment figée, dans une position d’éternelle attente, avec l’espoir tout de même de pouvoir renaître un jour de ses cendres.
Les ruelles étroites et les maisons encore debout offrent, dès l’abord, un spectacle rebutant et font effet de repoussoir puissant : tas de gravats partout, herbes sauvages, façades béantes, ornements irrémédiablement défraîchis, égouts éclatés par endroits, amas de détritus en tous genres...
Pour navrant qu’il soit, ce paysage ne réussit cependant pas à faire oublier les trésors que renferme encore, au double plan matériel et symbolique, ce haut lieu d’histoire et de mémoire du vieil Alger, appelé "El Mahroussa" (La Bien gardée) sans vraiment mériter ce nom au regard de son état actuel.
La partie basse de ce site antique -qui recouvre plus de 600 maisons et abrite encore 50.000 habitants sur une superficie de plus de 100 hectares- est déjà considéré comme un lieu à haut risque d’effrondrement.
Ce qui semble être une simple impression est confirmé par l’historien Abderrahmane Khelifa. Selon lui, la Casbah d’Alger, avec tout ce qu’elle renferme comme maisons et monuments, est quasiment "menacée de disparition" si les travaux de restauration n’interviennent pas sans plus tarder.
Les textes de loi et décrets adoptés pour sauver la Casbah d’Alger "n’ont pas l’effet d’une baguette magique" tant que "la volonté de sauvetage de cette cité millénaire est absente", estime ce spécialiste en histoire et en archéologie, auteur de plusieurs livres sur des villes algériennes.
Le site n’est pas totalement désert, même si des maisons en ruine ont dû être abandonnées par leurs propriétaires. Le lieu est encore récupérable et peut devenir un site à la fois résidentiel et touristique si le plan permanent de sauvegarde est mis en oeuvre dans les plus brefs délais, s’accordent à dire des habitants interrogés par l’APS.
Ils mettent ainsi tout leur espoir dans le plan de sauvegarde de la Casbah d’Alger, site historique classé patrimoine national en 1991 puis patrimoine mondial de l’Unesco en 1992.
Pour eux, l’adoption dudit plan aura force de loi pour empêcher toute opération de restauration individuelle qui pourrait altérer l’aspect architectural authentique de la Casbah.
Mais où est donc l’Agence nationale des secteurs sauvegardés ?
La mission d’exécuter le plan, décliné en trois étapes, revient à l’Agence nationale des secteurs sauvegardés, créée par décret en janvier 2011 et dont le directeur général n’est pas encore désigné.
La ministre de la Culture, Khalida Toumi, avait fait savoir en mars dernier que les procédures de nomination du directeur de cet établissement public chargé de l’application du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah d’Alger et des autres secteurs sauvegardés en préparation, étaient en cours.
Cette Agence est nécessaire pour la mise en oeuvre du plan grâce à une approche en partenariat entre le mouvement associatif et les pouvoirs publics, avait-elle relevé en assurant qu’une équipe composée d’architectes, d’archéologues et de juristes est installée à la citadelle d’Alger pour l’application du plan de sauvegarde de la Casbah, en attendant la nomination du directeur de l’Agence.
Des représentants d’associations qui oeuvrent pour la sauvegarde de la Casbah, dont la Fondation Casbah, présidée par Belkacem Babaci et l’association des propriétaires d’immeubles de la Casbah d’Alger, dirigée par Ahmed Ouada, attendent "avec impatience" le lancement des travaux de restauration car, estiment-ils, "toutes les conditions sont réunies" pour ce faire.
"Ce n’est pas en annonçant l’adoption d’un décret qu’on fera en sorte que les murs ne tombent plus, il faut passer à l’action et savoir pendre les bonnes décisions et y impliquer les compétences", peste, de son côté, l’historien Khelifa en relevant la persistance d’un "grand précipice" entre l’intention et l’action.
A ce propos, il cite l’exemple de l’effondrement en mars dernier d’un pan d’une vingtaine de mètres de la muraille de la citadelle d’Alger, siège de plusieurs monuments historiques dont le Palais du Dey, pour exprimer son inquiétude des possibles conséquences de cet effondrement sur le reste du site, d’autant plus que, dit-il, "rien n’y a été fait depuis plus de vingt ans".
Il déplore aussi la fermeture de ce lieu historique, témoin du célèbre et historique "coup d’éventail" de 1827, au large public depuis plusieurs années pour "travaux de restauration".
Insistant, il affirme que "rien n’a été fait de concret pour sauver ce site qui menace ruine" à part des échafaudages comme c’est le cas pour l’ensemble du bâti et autres vestiges de la Casbah. Une lueur d’espoir tout de même : en avançant vers la partie haute de la vieille ville, la vie reprend ses droits à entendre les doux bruissements des écoliers, les tintements des marteaux d’artisans à pied d’oeuvre pour réparer ce qui peut l’être, ou encore les arômes de café ou de galettes chaudes qui se dégage de certaines maisons encore occupées malgré les risques.
Il reste qu’en sillonnant les ruelles de la Casbah de bas en haut, rien n’indique que des travaux de restauration sont entamés en vertu dudit plan, mis à part les étaiements de bois placés pour consolider les murs des bâtisses fragilisées, juste pour parer à l’urgence, un état d’urgence qui dure

Musique andalouse : Nour-Eddine Saoudi chez les anciens scouts de Tizi-Ouzou

Horizons : 06 - 12 - 2009

Belle initiative que celle prise par l'associations des anciens scouts et amis scouts de Tizi-Ouzou en ouvrant son cycle annuel de conférences-débats par une note bien fraîche, celle de la musique. Plus précisément de la musique andalouse en invitant Noureddine Saoudi, ce musicien, chanteur et compositeur de la musique andalouse. Une conférence qui a porté sur la musique andalouse à travers l'histoire du pays. Une conférence qu'il a animée conjointement avec son ami et complice l'historien et anthropologue Abderrahmane Khelifa, un duo très apprécié sur les ondes de la chaîne III de l'ENRS.
Les deux hommes ont réussi l'espace de deux heures qu'aura duré la conférence à offrir des moments privilégiés à cette assistance faite d'anciens mais aussi de jeunes amoureux du genre andalou.
Noureddine Saoudi à travers son intervention est revenu sur l'âge d'or de l'Andalousie et de la poésie arabo-andalouse. Ce docteur en géologie qui a déjà à son actif 5 CD de musique traditionnelle andalouse et surtout créateur de la Nouba Dziria, a réussi au moyen de morceaux de musique qu'il a joué avec son luth et sa voix mélodieuse à porter loin, à travers l'histoire l'origine de la musique andalouse et son implantation dans les creusets qu'on lui connaît, dans les trois écoles de Tlemcen, d'Alger et deConstantine. Il rendra un hommage particulier au maître incontesté Zyriab qui a révolutionné la musique universelle. «C'est grâce à lui et sa suite musicale que les Occidentaux se sont inspirés pour faire leur symphonie».
Considéré comme l'enfant terrible de la musique andalouse, Nouredine Saoudi qui est né à Alger en mai 1954 et a été bercé dans son landau par la musique au sein d'une famille portée sur la musique, a mis l'accent sur la nécessité de voir ce patrimoine préservé plus qu'il ne l'a été jusque-là. «On ne devrait pas tomber dans les mêmes erreurs que nos grands-pères qui ont laissé filer au fil du temps, des œuvres culturelles inestimables», dira cet élève des grands maîtres de l'andalou comme M'hamsadji, Dali, Belhocine et surtout Fekhardji, qui l'avait marqué en suivant ses traces et devenir professeur conservatoire d'Alger, où il avait réussi à décrocher le Premier Prix. Il étayera son propos en affirmant qu'il existait plus d'un millier de textes de poésies mais seulement on n'en répertorie plus que 400 textes «Et dont ne connaît pas pour certains, les auteurs ». Ce membre fondateur des associations musicales El Fekhardjia et Sendoussia avant de se lancer dans sa démarche innovatrice a surtout mis l'accent sur la nécessité d'approfondir la recherche. «On se doit de creuser sans cesse pour mettre au jour ces trésors musicaux et culturels encore enfouis quelque part à travers les régions du pays», soulignera encore ce docteur en géologie du quaternaire et préhistoire.
Pour sa part, l'historien et anthropologue Abderrahamne Khelifa «insérait» entre deux morceaux joués par Saoudi pour effectuer lui aussi un come-back sur l'âge d'or des foutouhat el islamia et la conquête de l'Andalousie. Sur un ton quelque peu dépité, M. Khelifa regrette que l'on ne puisse pas aller de l'avant et permettre au Maghreb en général de retrouver son lustre d'antan. Pour lui, c'est dommage que ce soient les Occidentaux qui ont profité de tous les inventions des Arabes et des Maghrébins : «Ils ont été les plus érudits et les précurseurs de toutes les sciences et de la culture universelles». Et d'ajouter la rage au ventre : «Le génie d'un Zyriab ou d'un Ibn Sina n'a point d'égal dans le monde occidental».
A une question relative à la place du Coran dans la musique andalouse, M. Saoudi dira que le Livre Sacré a toujours été en symbiose avec l'ouverture d'esprit et la spiritualité, et surtout la liberté : «N'est-ce pas un esclave qui, avec une voix mélodieuse sous forme de chant, qui avait effectué le premier appel à la prière». Et à M. Khelifa de conclure sur une citation : «L'islam a créé des boulevards mais certains faqihs en ont fait des impasses».
Il reste que cette première conférence qui en appellera certainement d'autres a été d'un grand niveau culturel et surtout de connaissances distillées par les deux conférenciers. Si bien que le public présent n'avait pas manqué de saluer chaleureusement cette belle initiative de cette dynamique et joyeuse association des anciens scouts et amis des scouts de Tizi-Ouzou. Cette dernière a déjà fixé rendez-vous pour le 8 janvier prochain autour d'une autre conférence qui portera aussi sur la riche histoire de notre pays qu'animera l'historien et chercheur, Fouad Soufi.
 

samedi 7 juillet 2012



L’initiative de consacrer un volume de la 
REMMM au monde rural de l’Occident musulman médiéval relève d’une double constatation : une carence manifeste des études sur ce thème et un renouveau des approches vouées à le sortir de l’ombre. L’idée est donc à la fois de faire un état des lieux de nos connaissances sur cette question et d’envisager les nouvelles perspectives de recherches qui se profilent à l’horizon. En proposant des réflexions de méthode et une confrontation de différents types de sources, le présent numéro a pour objectif de contribuer au développement des études rurales, domaine resté longtemps au second plan. Les travaux récents, fondés sur l’exploitation de nouvelles sources et un environnement historiographique renouvelé, abordent des voies inexplorées.
2Le premier problème que l’on rencontre lorsque l’on s’interroge sur le « monde rural » est de savoir ce que signifie cette expression pour l’Occident musulman. Quels sont les mots ou les formules qui, en arabe, désignent ces espaces de la ruralité, leurs activités, leurs populations ? La bādiya, espace du nomadisme ou semi-nomadisme plus ou moins soumis aux pouvoirs centraux, ne comprend qu’une partie de ce que l’on entend en français par « monde rural » : les qurā, villages ou bourgades de campagne, en sont exclus alors qu’ils sont au cœur de notre « modèle mental implicite » (Garcia-Arenal : 8) des campagnes. Cette question lexicale importante montre combien il est nécessaire de commencer par s’interroger sur la pertinence des espaces étudiés, des communautés définies, des productions envisagées.
3Cette difficulté nous a conduit à abandonner l’idée d’un numéro où les traditionnels clivages chronologiques seraient dépassés : la terminologie est déjà si fournie, les réalités socio-économiques sont si diverses pour un espace restreint et une période déterminée !
4L’idée de privilégier la réflexion sur l’espace occidental du monde musulman s’est progressivement imposée. L’Orient, et en particulier l’Égypte, bénéficie d’une abondante littérature administrative et d’un certain nombre d’archives, qui ont permis des travaux comme ceux de Claude Cahen (1977), de Tsugitaka Sato (1997) ou de Nicolas Michel (2000). Cette documentation n’existe pas (ou de manière infime) pour le Maghreb et al-Andalus, ce qui impose de rechercher la moindre information en convoquant tous les matériaux disponibles, en ayant recours à toutes les méthodes scientifiques et en croisant toutes les approches. Cette carence documentaire est en grande partie responsable du vide historiographique qui a marqué les études rurales sur l’Occident musulman médiéval. C’est aussi la nature des sources à notre disposition qui explique que les espaces hors les villes aient été délaissés : les textes que le médiéviste utilise traditionnellement (chroniques, récits de voyage, ouvrages de géographes, bribes de traités fiscaux…) émanent des milieux liés au pouvoir et présentent, lorsqu’ils l’évoquent, le monde rural dans une perspective avant tout urbaine. Les campagnes sont ainsi envisagées soit comme objet d’intérêt de la part de l’État, notamment en fonction des revenus fiscaux qu’il peut en attendre, soit comme sujet de méfiance lorsqu’elles menacent le monde des villes en cas de famines, d’épidémies ou d’émeutes. Cette vision des choses a sans doute influencé à l’excès les réflexions des historiens qui ont décrit un monde rural dépendant des cités et exploité par elles.
5Les premières recherches sur le monde rural de l’Occident musulman médiéval remontent à la première moitié du xxe siècle. On trouve alors essentiellement des travaux d’ethnographie sur les groupes sociaux « indigènes », surtout sur les Berbères (voir principalement les travaux de Montagne, 1930a et 1930b, ceux de Laoust, 1930 et de Bourrilly, 1932). Abraham Poliak (1936) a par ailleurs tenté une étude comparatiste en avançant l’hypothèse d’une « féodalité islamique ». Ses résultats n’ont pas suscité beaucoup de débats et ont finalement été remis en question au début des années 1960 par les travaux de Claude Cahen (1960). Un autre intérêt se dégage dans les années 1930, suscité par les documents juridiques, notamment les contrats : l’étude des contrats pastoraux et des contrats de louage semble susceptible de faire avancer la compréhension de cette société majoritairement rurale que la France coloniale doit administrer et dont elle espère tirer profit. LaRevue Algérienne, Tunisienne et Marocaine de Législation et de Jurisprudence publie en 1938-39 des articles de MauricePouyanne (1939) qui ont une orientation surtout juridique, de Robert Brunschvig (1938) et de Jacques Berque (1939), plus historiques et sociologiques, mais tous consacrés à cette thématique des campagnes. Dans les années 1950, une série de travaux abordent la vie rurale du Maghreb médiéval d’un point de vue économique en s’intéressant notamment au commerce du blé(Wolff, 1959 ; Romano, 1953). Cette approche est relayée dans les années 1970 par des études sur la géographie et l’histoire économique (Vanacker, 1973 ; Idris, 1973 ; Rosenberger, 1977), les productions agricoles et l’élevage(Vernet, 1976 et 1978). Au même moment, la découverte des recueils de fatwas mālikites et surtout l’affirmation que ces textes peuvent être retenus comme de véritables sources historiques conduisent les historiens à souligner avec force l’intérêt de ces textes, en particulier pour l’histoire socio-économique des zones rurales (Mezzine, 1988).
6Il faut également mentionner le débat autour de l’idée développée par l’historiographie coloniale(Marçais, 1913 ; Gautier, 1927), d’un recul de l’agriculture sédentaire et d’un déclin économique du Maghreb dus à l’arrivée des nomades hilaliens au xie siècle. Cette idée reposait sur l’étude des auteurs arabes des xiie-xive siècles, et en particulier d’Ibn Khaldūn (Berque, 1967 et 1970), tel qu’il était perçu au travers de la lecture de la Muqaddima. L’un des premiers à mettre en cause cette thèse fut Jean Poncet (1967) : minimisant les effets des « invasions » hilaliennes et remettant en question l’idée d’une crise du xie siècle, il a peut-être cependant poussé trop loin la critique d’Ibn Khaldūn. On reconnaît aujourd’hui que s’il y eut alors un point de rupture, le nomadisme n’est pas nécessairement opposé à la mise en valeur des terres et qu’il y aurait plutôt eu coexistence et complémentarité entre les activités agricoles de culture et d’élevage (Cahen, 1968). Cette histoire de la ruralité au Maghreb trouvait ses limites dans une exploitation de sources insuffisamment diversifiées.
7Tout aussi importants sont les débats historiographiques espagnols des années 1970 ; ils ont porté sur la place de l’Islam dans le passé ibérique (Lapeyre, 1965) et sur la nature de la société rurale andalouse à travers le concept de « formation tributaire » tel qu’il a été formulé par Samir Amin (1973). En reprenant cette terminologie, l’historienne argentine Reyna Pastor de Togneri insiste sur le passage d’al-Andalus d’une société féodale à une « formation tributaire mercantile » (1975). Au cœur de ces débats, l’ouvrage de Pierre Guichard enquête sur les structures « orientales » et « occidentales » et met l’accent sur le fait tribal et les constituantes agnatiques qui ont marqué la société andalouse (Guichard, 1977). D’autre part, la problématique de la multiplication des villages ruraux fortifiés et du mouvement d’incastellamento a suscité, depuis les années 1980, de nombreux travaux à la fois d’historiens et d’archéologues (Bazzana et al., 1988, Bazzana, 1992). Ces avancées historiographiques sur al-Andalus ont servi de modèle aux travaux sur l’Afrique du nord.
8L’intérêt pour le monde rural s’est « réveillé » depuis une bonne trentaine d’années. Au moment où de nombreuses disciplines se sont trouvées mises à contribution - l’histoire bien sûr, mais aussi l’anthropologie, le droit, la géographie, l’archéologie - les sources ont permis de renouveler les méthodes de leur questionnement. En témoignent notamment deux monographies des années 1990 consacrées à l’Occident musulman : l’ouvrage de Vincent Lagardère sur al-Andalus (1993), basé sur l’utilisation des fatwas compilées dans le Mi‘yār d’al-Wanšarīsī, et la thèse de Muhammad Hassan(1999) sur l’Ifrīqiya, dans laquelle sont exploitées aussi bien les sources traditionnelles que la documentation juridique. Ces études considèrent les fatwas comme des « instantanés » de la société maghrébine. Elles permettent d’approcher et d’appréhender les individus, non plus seulement depuis le haut, c’est-à-dire à travers le regard proposé par une littérature émanant d’auteurs proches des pouvoirs centraux (chroniques, récits de voyages, recueils de biographies), mais aussi depuis le bas, en suivant les réactions des individus et leur évolution au sein d’une société islamique en construction.
  • 1  On pourrait faire la même remarque pour l’archéologie marocaine en notant par exemple qu’il faut a (...)
9Les prospections d’archéologie rurale menées depuis les années 1980 promettent d’intéressants résultats(Bazzana et al., 1983-84 ; Bazzanaet Guichard1981 ; Castrum 2, 1988 ; Castrum 5,1999). Malheureusement encore trop peu nombreuses et souvent bloquées par des difficultés d’ordre politique et administratif, elles ouvrent cependant de nouvelles perspectives dans la confrontation des données matérielles avec les autres sources. L’archéologie s’est longtemps contentée de chercher à exhumer les ruines de l’antique Africa, délaissant presque totalement l’archéologie islamique qu’Abderrahmane Khelifa, dans son panorama sur l’archéologie islamique en Algérie, qualifie de « parent pauvre » du Service des Antiquités de l’époque (Khelifa, 1987 : 203)1. Dans ce dernier domaine, seuls les monuments architecturaux urbains ont réussi à attirer l’attention:on peut citer lesprospections menées depuis le début du xxe siècle à la Qal‘a des Beni-Hammad (Marçais, 1939 ; Vivier, 1995) ou à Achir (Golvin, 1966 et 1976). Les récentes études restent limitées au Maroc et au sud de l’Espagne. Il faut pourtant saluer les travaux menés par Martin Carver et Djamel Souidi dans le bassin d’Achir (Carver et Souidi, 1996). Cette carence, qui sera sans doute un jour comblée, ouvre cependant un champ immense de possibilités d’investigations pour l’avenir.
10Les publications d’études abordant la question du monde rural de l’Occident musulman se sont également multipliées et ce numéro offre un panorama des nouvelles perspectives de recherche. Il est malaisé d’en proposer une bonne présentation sans essayer de les classer selon des thématiques, mais force est de constater qu’une telle démarche, si elle répond à des impératifs d’intelligibilité, ne rend pas compte à elle seule de la façon dont les sujets et méthodes sont imbriqués. Trois thèmes se dégagent et permettent cependant de mettre en évidence les orientations des recherches récentes ou en cours.
11Le premier rassemble les recherches qui abordent des questions liées à l’économie rurale. On constate deux types d’approches : l’étude d’une production agricole particulière et de sa commercialisation, comme la thèse de Mohamed Ouerfelli sur le sucre dans la Méditerranée médiévale (Ouerfelli, 2008) ; la question de la mise en valeur des terroirs posée notamment grâce aux prospections archéologiques (Cressier, 1983-84).
12Le deuxième thème concerne plus particulièrement les structures de la société rurale. Le lexique est au cœur du sujet : l’étude des différents vocables qui désignent les groupes sociaux, si elle est précisément contextualisée, peut s’avérer pertinente. Elle apporte d’importantes indications sur la représentation que les auteurs se font des communautés qu’ils décrivent, mais aussi sur la façon dont les groupes se définissent eux-mêmes. C’est ce que montre Élise Voguet par l’analyse du recueil de fatwas d’al-Māzūnī (Voguet, 2005). Les toponymes et ethnonymes ont également été mis à contribution, notamment par Edouardo Manzano (2006), pour étudier les structures tribales ou claniques, saisir les réalités du monde rural et les rapports des tribus avec le territoire qu’elles occupent. Le recours aux sources chrétiennes postérieures à la reconquête de certaines régions de la péninsule Ibérique, telles que le royaume de Valence ou le sultanat de Grenade, apporte des éclairages suggestifs quant à l’existence de communautés rurales fortes et bien organisées (Guichard, 1990-91).
13Le dernier thème est celui des rapports villes/campagnes diversement abordé dans des thèses récemment publiées. À travers l’étude des techniques hydrauliques, Tariq Madani  examine la relation de la ville de Fès avec les territoires qui l’entourent (Madani, 2003). Ahmad al-Bahi, dans ses recherches sur la région de Sousse, recherches fondées sur une approche de géographie historique, étudie notamment la question des liens entre les grands domaines agricoles et la ville (al-Bahi, 2004). La thèse de Yassir Benhima (2009), quant à elle, montre combien l’évolution des structures de l’habitat et du peuplement de la région de Safi est liée aux événements politiques qui touchent les cités.
  • 2  Voir par exemple les travaux d’André Bazzana sur l’habitat villageois, de Patrice Cressier sur les(...)
  • 3  On peut citer le programme piloté par Jean-Pierre Van Staevel et ‘Abdallah Fili sur les villages e (...)
14Le présent numéro a été organisé autour de ces trois thèmes. Plutôt que de simplement résumer les contributions rassemblées ici, il nous a semblé plus pertinent de mettre l’accent sur les outils et les méthodes mis à profit. Il faut tout d’abord mentionner la multiplication des fouilles archéologiques surtout en Al-Andalus2 mais aussi au Maroc3. La contribution de Mathieu Grangé et Jorge Vilhena, qui suggère l’émergence d’une production primaire de fer en contexte d’habitat rural, présente ainsi des exemples illustrés grâce au projet BRONZMIRA, dont l’un des volets est proprement « rural », puisqu’il cherche à étudier de façon diachronique les systèmes de peuplement des espaces ruraux. Dans le cas des exploitations de gisements métallifères, le choix du site d’implantation des communautés paysannes s’explique doublement : il faut à la fois que la terre soit cultivable et que l’extraction et la commercialisation du fer soient possibles. Les nouveaux moyens d’analyse des matériaux permettent en outre de mettre en évidence l’occupation de ces terroirs sur le long terme – de l’Antiquité tardive à l’époque islamique, voire chrétienne - et de combler les lacunes dues à la carence de systèmes de datation fiables. L’étude de régions peu documentées par les sources écrites ou par le matériel céramologique est ainsi rendue possible.
15Les approches archéologiques proposées ne sont pas monolithiques : dans son article sur les parcellaires, André Bazzana associe l’étude des photographies aériennes anciennes aux enquêtes de terrain, ce qui lui permet d’avancer l’idée de la création d’un « nouvel espace agricole » à la suite de l’introduction des techniques de la petite irrigation. Cette approche régressive est également suivie par Yassir Benhima et Pierre Guichard qui étudient, à partir de la littérature d’époque coloniale, la ruralisation et la tribalisation de la région de Tebessa.
16Les textes arabes ne sont bien évidemment pas délaissés. Les dictionnaires biographiques, qui ne recèlent a priori pas d’indications directes sur le monde rural, s’avèrent très utiles pour l’étude des rapports villes/espaces ruraux : Tahar Mansouri et Tariq Madani soulignent leur intérêt en révélant le rôle des oulémas dans la mise en valeur des domaines fonciers. Les récits de voyages et les ouvrages des géographes sont abondamment cités : confrontés à d’autres sources (notamment archéologiques), ils s’avèrent essentiels pour pénétrer ces espaces « hors la ville », comme en témoigne en particulier l’étude monographique du Hodna que nous propose Mohamed Meouak, étude qui permet de mieux cerner le rôle politique et économique joué par cette région au sein du Maghreb central. Les descriptions répétitives et souvent stéréotypées des divers terroirs agricoles et de leurs productions qu’offre cette documentation méritent d’être réexploitées : elles mettent en évidence le lien très fort entre les groupes sociaux et la terre qu’ils mettent en valeur. Si l’identité de la tribu ou du village se forge, par exemple, autour de l’entretien d’une mosquée, l’appropriation du sol est également déterminante dans la construction des communautés rurales.
  • 4  Introduction du séminaire « Renouer entre droit et histoire. Perspectives maghrébines et moyen-ori (...)
17À côté de ces sources, la documentation juridique (formulaires notariaux et recueils de fatwas) est devenue essentielle pour l’étude des communautés rurales. Depuis les années 2000, un glissement s’est amorcé, faisant passer ces textes de « gisement d’informations exceptionnel pour l’historien » à un « objet d’études à caractère anthropologique »4. Les ouvrages de jurisprudence sont désormais envisagés comme des créations liées à un contexte précis et à un milieu déterminé, et on estime que la science du droit doit révéler la dynamique normative propre à chaque communauté. Ainsi, toutes les informations, même descriptives, que nous apportent les textes de jurisprudence, doivent être lues à travers le regard de celui qui les livre. Le gisement est d’autant plus prometteur que de nombreuses sources juridiques, conservées dans les archives et les bibliothèques maghrébines, restent à éditer. Allaoua Amara exploite en particulier les précieuses informations qu’offre cette documentation sur la gestion des espaces ruraux. Tout en soulignant l’ambivalence de l’apport des fatwas (données brutes et représentations juridiques de la réalité), Élise Voguet montre qu’elles permettent de donner voix aux acteurs silencieux des communautés rurales.
18Quelques sources occidentales viennent compléter la documentation. L’apport des documents grecs ou latins constitue une des spécificités de l’étude du monde rural méditerranéen. Ainsi, pour analyser l’impact de la production du sucre sur les campagnes méditerranéennes, Mohamed Ouerfelli utilise aussi bien des traités fiscaux égyptiens, des chroniques, des descriptions géographiques et des traités agronomiques, que des sources puisées dans les archives du royaume de Valence et de la Sicile. Grâce à cette documentation, il est possible non seulement d’effectuer des comparaisons, mais aussi d’apporter des réponses précises à des questions que les lacunes des sources arabes ne permettent pas de résoudre.
19Ces neuf contributions, si elles diffèrent aussi bien par la nature des sources utilisées que par les approches adoptées, offrent chacune un point de vue sur le monde rural de l’Occident musulman, domaine si longtemps délaissé, au prétexte que les lettrés arabes ne s’intéressaient guère au monde rural, voire le méprisaient. Si ce numéro n’a pas l’ambition d’offrir un panorama complet des recherches récentes sur l’histoire rurale de cette région du monde musulman, il se veut néanmoins une étape importante pour pouvoir saisir les réalités du monde rural dans sa globalité. Il montre à quel point les possibilités de recherche ont progressé et permettent d’aboutir à une synthèse au moins partielle sur les structures de ce monde « hors les villes » et sur les nouveaux champs d’investigations qui s’offrent à l’historien comme à l’archéologue. Manque sans conteste la voie ouverte par l’exploitation des sources hagiographiques des xivet xve siècles (Amri, 2008) et par les nombreux textes inédits conservés dans les zāwiyas. L’apport de la sociologie et de l’anthropologie n’apparaît également que très ponctuellement dans ce numéro ; il convient d’en souligner l’importance pour approcher les sociétés rurales, sur lesquelles les textes demeurent le plus souvent silencieux.
20Il faudrait multiplier les études régionales et les monographies, travailler davantage sur des problématiques relatives à la toponymie et au lexique, ainsi que sur la notion de l’espace. Une approche des campagnes de l’Occident musulman doit être à la fois thématique et dynamique ; elle nécessite l’examen des activités productives, des transformations du paysage agraire, des structures de la société rurale et des formes de son encadrement. Ce monde pourrait aussi être abordé à travers la question des techniques ; celle-ci constitue un autre angle d’attaque pour appréhender les pratiques agraires, l’organisation du travail dans les campagnes, l’évolution et les transferts de savoirs. Terminons cette présentation en formulant le vœu de voir ces recherches continuer, s’amplifier et s’enrichir par de nouvelles pistes et de nouvelles réflexions individuelles et collectives.
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Notes

1  On pourrait faire la même remarque pour l’archéologie marocaine en notant par exemple qu’il faut attendre 1976 pour que le Bulletin d’Archéologie Marocaine - la revue existe alors depuis vingt ans - comprenne un chapitre intitulé « Archéologie islamique ».
2  Voir par exemple les travaux d’André Bazzana sur l’habitat villageois, de Patrice Cressier sur les paysages irrigués ou ceux de Sonia Gutierrez et d’Helena Catarino sur la céramique.
3  On peut citer le programme piloté par Jean-Pierre Van Staevel et ‘Abdallah Fili sur les villages et les sites-refuges du Sous et de la région d’Igherm (Anti-Atlas oriental) et l’étude microspatiale dirigée par Yassir Benhima et ‘Abdallah Fili dans un village fortifié (Qsar) du Tafilalt.
4  Introduction du séminaire « Renouer entre droit et histoire. Perspectives maghrébines et moyen-orientales », IISMM, Paris 5-6 novembre 2004.