lundi 25 mai 2015

Abderrahmane Khelifa, historien et archéologue

« Les archéologues sont marginalisés au profit des architectes »

Entretien réalisé par : Amine Goutali
Publié le 23 mai 2015

Vieux de la vieille et éminence grise du secteur, l’ancien directeur du patrimoine culturel au ministère de la Culture déplore, dans cet entretien, en marge d’une conférence qu’il a donnée, mercredi dernier à Alger, sur la Qaâla de Beni Hamad ( il vient de lui consacrer un ouvrage), la mise à l’écart de l’élite qui a donné à l’archéologie algérienne ses lettres de noblesse. Il appelle à la révision de la loi 98-04 relative à la protection du patrimoine. Décryptage...
L’ex-ministre de la Culture, Nadia Labidi, a jugé indispensable la révision de la loi 98-04 relative à la protection du patrimoine culturel. Y a-t-il réellement ce besoin alors que cette loi est vantée dans le domaine ?
Je crois qu’il faut réviser cette loi que je trouve dépassée et trop figée dans sa conception. Elle a été conçue par des juristes et non par les gens du terrain, en l’occurrence les archéologues. De même qu’elle privilégie les architectes au détriment des archéologues qui ont été moins impliqués que les premiers dans son élaboration.
Autrement dit, les archéologues ont été tout simplement marginalisés…
Effectivement. Ce qui n’est pas normal d’ailleurs. Il faut savoir que l’archéologue est le premier à être sur le terrain, notamment à travers les opérations de fouilles. Donc, c’est lui qui apporte les éléments et procède aux découvertes des vestiges. Concernant les architectes, nous constatons, malheureusement, qu’à ce jour, il n’y a pas eu de grands spécialistes de la restauration à même de prendre en charge des pans entiers de notre histoire.
Est-ce dû au manque de formation ?
Exactement. Il ne s’agit pas seulement d’être titulaire d’un magistère de l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme (EPAU) pour être un bon architecte restaurateur. Un apprentissage sur le terrain s’impose de fait.
Que pensez-vous de la mise en œuvre, par la tutelle, d’un nouveau découpage territorial d’aménagement des espaces culturels, notamment dans l’espoir, soutient-on, d’un meilleur rééquilibrage en matière de classement des sites archéologiques ?
C’est quoi la territorialité ? Si c’est pour décentraliser la gestion du patrimoine, c’est une bonne initiative. En réalité, cette gestion reste, malheureusement, très centralisée. Pour la réalisation d’un musée, par exemple, il faut l’aval de la tutelle. Idem pour les procédures relatives aux monuments. Il aurait fallu, à mon avis, revenir aux circonscriptions archéologiques pour être plus proche de la réalité. Il faut le dire tout net : on ne sait pas trop ce qui se passe au niveau des sites archéologiques. On détruit et démolit des dizaines de vestiges parce que les archéologues, censés alerter contre ces atteintes, ne sont pas sur le terrain. Et cela ne relève pas du travail des architectes
Plusieurs objets restitués, dont le fameux masque de Gorgogne, sont actuellement exposés au musée des antiquités. Comment voyez-vous la politique de lutte contre le trafic des biens archéologiques ?
Je crois que la seule façon de lutter contre ce trafic, c’est de doter les différents sites de structures administratives et de sécurité, comprenant, entre autres, des gardiens, des architectes et des archéologues. Allez à Madaure (1), par exemple, ou dans le Tobna (2). Vous ne trouvez personne pour assurer la protection de ces sites. Pire, la Qaâla de Beni Hammad, un site de première importance, classé patrimoine universel par l’Unesco, est laissé pratiquement à l’abandon. Vous savez, cette pierre qu’on enlève ou qu’on vole c’est comme une partie de votre chair qu’on ampute. On ne peut donc s’étonner de l’ampleur du trafic si on laisse à l’abandon les sites et les monuments touchés.
D’aucuns parmi les gens du patrimoine déplorent le fossé entre la société et le patrimoine culturel…
Il grand temps de revoir les programmes d’Histoire dans les écoles. Il faut que les élèves, d’abord, se sentent rattachés à ce patrimoine. Que pensez-vous du plan de restauration de la Casbah d’Alger ? J’ai tout récemment effectué une visite dans la Casbah où j’ai constaté l’ampleur des dégâts dus à l’effondrement de plusieurs bâtisses. A la rue du Diable, par exemple, trois maisons sont tombées et bouchent complètement la rue. Plus haut que Dar Khdaoudj el Aâmia (qui abrite le Musée national des arts et traditions populaires) une autre s’y est affaissée. Résultats des courses ? Pourquoi faire des études et des plans d’urgence qui n’aboutissent pas.
Que pensez-vous vous des opérations de restauration et de mise en valeur entamées dans l’antique Cirta, au cours du grand évènement culturel, « Constantine, capitale de la culture arabe 2015 » ? 
Les travaux de restauration entrepris ne sont, malheureusement, pas à la mesure de cette manifestation culturelle. Heureusement que le musée de Cirta est toujours là conservant un certain nombre d’objets et de statues qui lui donnent toute l’importance. Je note, à l’occasion, qu’une opération de fouilles, qui s’est faite à l’emplacement où devait s’élever la bibliothèque de Constantine, a permis la découverte et le sauvetage de vestiges, et ce, grâce à l’arrêt, in extremis, du chantier en question. Résumons : quand on n’associe pas les gens du patrimoine, on efface peu à peu notre histoire.
Qu’en est-il de la contribution du mouvement associatif dans la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel, jugé « timide » par certains intervenants ?
Elle n’est pas timide. On ne le laisse plutôt pas travailler. Peut-être parce qu’il fait de l’ombre aux administrateurs. Ces derniers ne pourraient, évidemment, tout faire seuls. Ils devraient, au contraire, prêter main-forte à ces bénévoles qui travaillent par amour et passion pour ces vieux vestiges qui incarnent notre culture identitaire.
Idem pour les étudiants en archéologie ?
Il y a un carcan qui fait qu’on ne peut pas intervenir parce qu’il y a une bureaucratie.
A. G.
(1) Madaure : vieille cité numide et importante colonie romaine située à 5 km à l’est de l’actuelle Mdaourouche et à 50 km de Souk-Ahras, ville natale de l’un des précurseurs du roman, Apulée de Madaure (125-170 après J-C) auteur de l’âne d’Or. Le célèbre philosophe chrétien, Saint-Augustin (354-430 après J-C), y fit ses études.
(2) Tobna : situé à 4 km au sud de Barika entre les routes de M’Doukel et de Biskra. Classée patrimoine national depuis 1967, c’est l’une des plus anciennes villes romaines citées par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle.

Renvois tirés du Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie, d’Achour Cheurfi

dimanche 26 avril 2015

dimanche 26 avril 2015 15:59:33
Ph: Nacéra
L’historien archéologue algérien, Abderrahmane Khelifa, a animé, mercredi dernier au palais de la Culture Moufdi-Zakaria, une conférence intitulée «Cirta, Constantine la capitale céleste». Dans le cadre du Mois du patrimoine, l’interlocuteur est revenu sur la riche histoire de Constantine, carrefour des civilisations et l’une des plus anciennes cités au monde.
Tout en insistant sur l’historique de la Casbah de Constantine, cœur historique de la ville, classé depuis 1990 patrimoine national, le conférencier a regretté qu’un tel pan d’histoire ne soit pas exploité sur le plan touristique. « La Casbah ou la médina de Constantine a été le siège de Massinissa. Elle a abrité le palais des Hamadites, des Al Mohad et des Hafsides… Juste après l’invasion française, elle a été occupée par l’armée française et une caserne de l’armée algérienne s’y trouve actuellement », a-t-il fait savoir.
Le conférencier a narré chronologiquement les périodes phares de l’histoire de l’ex-Cirta, à commencer par la préhistoire et la protohistoire, affirmant que Constantine a été habitée -10.000 ans avant JC. Ayant réagit sur une violation des vestiges culturels, Abderrahmane Khelifa a déploré le fait que le projet de l’autoroute Est-Ouest ait laminé bon nombre de dolmens à l’est algérien aux régions limitrophes à Constantine. « Les dolmens sont des constructions mégalithiques préhistoriques constituées d'une ou plusieurs grosses dalles de couverture posées sur des pierres verticales qui lui servent de pieds. Je regrette que certains d’entre eux aient été laminés pour construire l’autoroute », a-t-il déploré.
L’interlocuteur s’est longuement, étalé sur l’hospitalité de la ville qui a été, pendant des siècles, une destination incontournable et inévitable de tous les passants par l’Afrique du Nord. « Saint Augustin est passé par Cirta et une centaine de poètes et grands artistes ont séjourné à Constantine. C’était une ville florissante, un carrefour de civilisations et une ville aux valeurs de la citadinité », a-t-il noté avant d’affirmer que Cirta était une ville économique par excellence, et que les Romains et les Ibériques passaient par la ville pour de grands échanges commerciaux.
Au volet linguistique, Abderrahmane Khelifa a affirmé que Constantine a toujours été trilingue et qu’elle répond aux particularités du Nord-Africain qui excelle à l’apprentissage des langues étrangères. « Constantine parlait amazigh, on a trouvé d’ailleurs l’écriture libyque des autochtones nord-africains, elle a parlé par la suite punique, grecque latin, arabe et français. C’est une empreinte nord-africaine d’apprendre la langue d’autrui pour mieux le combattre », a-t-il précisé avant de relever que Cirta était païenne, puis juive, chrétienne, orthodoxe avec les Byzantins avant de se convertir à l’islam à la fin du XIIe siècle. Le conférencier a précisé que le Numide a parlé toutes ces langues et connu toutes ces religions à travers les siècles tout en restant toujours le même.
Par ailleurs, le conférencier a mis l’accent sur l’élevage du « cheval de barbe » (race de cheval nord-africaine connu pour sa puissance, ndlr) qui faisait l’un des points forts de la ville de Constantine et de ses alentours. « Le cheval de barbe a été retrouvé sur l’effigie de la monnaie de l’ex-Cirta. Connu pour sa résistance et son endurance, il a été d’un grand secours pour Hannibal lorsqu’il a défié Rome en traversant l’Europe. Oqba Ibn Nafae a fait usage de ses chevaux lorsqu’il est passé par Khenchela avant d’écrire que c’est une race extraordinaire pour les chevaliers », a-t-il précisé. Lors de l’invasion de l’armée française, Constantine était une ville riche de vestiges et de patrimoine archéologique. L’interlocuteur a affirmé qu’elle comportait plus de 850 stèles, dont plus de 150 ont été transférées au musée du Louvre de Paris, des œuvres qu’il faudrait récupérer un beau jour.       
Kader Bentounès
  • Publié dans :

dimanche 12 avril 2015

Conférence historique animée par Abderahmane Khelifa : « Alger la bien-gardée ville cosmopolite du XVIe siècle »

Dans le cadre de la journée internationale du livre, le centre culturel espagnol d’Alger «Cervantès» a abrité, hier matin, une conférence historique animée par l’historien archéologue Abderrahmane Khelifa qui a eu lieu en présence de l’ambassadeur de l’Espagne en Algérie et d’un parterre de journalistes et universitaires.
PUBLIE LE : 12-04-2015 | 0:00
Ph. : Y. Cheurfi
Dans le cadre de la journée internationale du livre, le centre culturel espagnol d’Alger «Cervantès» a abrité, hier matin, une conférence historique animée par l’historien archéologue Abderrahmane Khelifa qui a eu lieu en présence de l’ambassadeur de l’Espagne en Algérie et d’un parterre de journalistes et universitaires. Cette conférence a porté sur une importante thématique à savoir «Alger à l’époque de Miguel De Cervantès 1575-1580». De prime abord le conférencier s’est longuement étalé sur l’historique de  «la capitale du Maghreb ; la bien-gardée» , tout en insistant sur les relations algéro-espagnoles à travers les siècles. «Les relations entre la rive nord de la Méditerranée et la péninsule ibérique remonte à plus de 12.000 ans, souligne-t-il. Et d’ajouter «plusieurs écrits historiques témoignent des relations entre les deux rives, à  l’exemple d’une bataille qui a eu lieu en 202 avant JC, lorsque des cavaliers ibériques ont combattu sous la bannière de Syphax», a-t-il fait savoir.
L’orateur n’a pas omis de mettre en exergue la polémique sur l’auteur du livre La topographie d’Alger, dont certains affirment qu’il est l’œuvre de Monnerot Haëdo et d’autres l’attribuent au Docteur Sosa.
M. Abderahmane Khelifa a estimé que des écrits prouvent que c’est Miguel De Cervantès qui en est l’auteur. «Miguel De Cervantès a été captivé à Alger pendant cinq ans, il a fait une description très exacte de la défense d’Alger et de ses cinq portes. Ce qui a servi d’ailleurs de leçon après la vaine tentative de Charles Quint en 1541 pour conquérir la ville d’Alger», a-t-il noté.
Saisissant cette occasion, le conférencier a lu des extraits du livre témoignant l’hospitalité et la tolérance de la ville d’Alger à la fin du Moyen Age et au début de l’époque contemporaine. «Alger était une ville cosmopolite et très accueillante. C’était la ville la plus ouverte de la Méditerranée et les gens venaient de partout pour faire fortune. C’était facile de gravir les grades du pouvoir lorsqu’on est étranger, il suffisait juste d’être converti à l’Islam», a notamment indiqué Abderahmmane Khelifa.
    Kader Bentounès