dimanche 28 septembre 2014

Massinissa, grand roi numide

Un règne mythique

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte
le 27.09.14 | 10h00 6 réactions
 
 En fond : Temple de dougga
| © D. R.
En fond : Temple de dougga

Massinissa, roi numide du deuxième siècle av. J.-C. a régné durant plus de cinquante ans, mais son destin dans la mémoire collective se prolonge jusqu’à nos jours.

La seule image matérielle que nous avons du grand aguellid est celle gravée sur une face de monnaie, mais ses représentations dans l’imaginaire collectif sont diverses et variées : unificateur de la Numidie, allié de Rome, ancêtre fondateur de l’Etat algérien, destructeur de Carthage… D’une époque et d’une civilisation à l’autre, le prestige de ce souverain a inspiré un grand nombre de récits et d’œuvres dans différentes disciplines artistiques et littéraires.
Chacune d’elles a mis en avant un aspect particulier du personnage et des épisodes différents de son brillant parcours. Plus ou moins fidèle à la réalité historique, cette riche production travaille à refaçonner indéfiniment le personnage selon l’idéal (et l’idéologie) du moment. A l’occasion du Colloque Massinissa, au cœur de la consécration du premier Etat numide, nous nous sommes intéressés à ces récits et images qui ont prolongé le règne de Massinissa dans la conscience des hommes. Précisons d’abord que les données historiques sur la vie de Massinissa nous parviennent principalement d'auteurs grecs et latins.
Né vers 240, Massinissa était le fils de Gaïa, roi des Massyles. D’abord allié de Carthage, il combattra les Romains dans un premier temps puis se rangera du côté des troupes du général romain Scipion. Il parvient ainsi à vaincre son rival Syphax (roi des Masaesyles) et devient l’unique roi de la Numidie unifiée, avec Cirta (l’actuelle Constantine) pour capitale. Son règne, qui se prolongea jusqu’à sa mort en 148 av. J.-C, se distingue par un grand effort pour l’édification d’un Etat fort avec des institutions stables, une monnaie commune et un développement de l’agriculture sans précédent dans la région. Pour les auteurs grecs et latins, Massinissa est considéré comme un souverain modèle doublé d’un valeureux guerrier. Bien plus, il est «le meilleur et le plus heureux des hommes» parmi les rois de notre temps, affirme Polybe dans son éloge funèbre. Mathilde Cazeaux (université de Montpellier III) a précisément étudié la représentation de Massinissa en tant que modèle moral dans les textes anciens.
Elle relève dans ses multiples portraits édifiants trois qualités principales : la discipline, la piété et la loyauté. De nombreuses anecdotes sont rapportées à propos de sa sobriété. On raconte par exemple qu’il mangeait toujours debout ou qu’il pouvait mener son armée à cheval pendant plusieurs jours sans discontinuer. Cette discipline lui aurait assuré une bonne santé jusqu’à la fin de ses jours. Plutarque le cite ainsi en exemple pour discuter l’interrogation :«Les vieillards doivent-ils gouverner?»
Concernant son respect de la religion, Cicéron rapporte qu’il avait refusé de précieuses défenses d’éléphant rapportées par sa flotte d’un temple situé à Malte. Apprenant la provenance du butin, il l’aurait remis à son emplacement original accompagné d’une inscription expliquant l’erreur des soldats. Enfin, la loyauté est sans doute sa qualité la plus appréciée des Romains. Le moraliste Valère Maxime l’évoque en ces termes : «Par le bienfait et les conseils de Scipion, son royaume avait été assez généreusement agrandi. Il garda le souvenir de cet illustre service jusqu’à l’extrême fin de ses jours, bien qu’il fût doté par les dieux immortels d’une longue vieillesse. Si bien que non seulement l’Afrique, mais aussi tous les peuples savaient qu’il était plus attaché à être l’ami de la famille Cornelia et de Rome que de sa propre personne.»
On le devine aisément, ces portraits élogieux d’un roi barbare (non Romain) ne sont pas sans arrière-pensées politiques. Emilie Cazaux évoque la justification de la troisième guerre punique qui a abouti à la destruction de Carthage. «C’est une chose terrifiante, car c’était une puissance comparable à Rome, souligne-t-elle. Dans l’historiographie romaine, cette décision n’était pas acceptée de tous. Il fallait la justifier et la propagande officielle avait donc besoin de donner de Massinissa une image élogieuse. S’il était quelqu’un de bien, cela justifiait de lui prêter main-forte contre Carthage.» Cela dit, les Romains lui trouvaient également des défauts comme l’ambition. En effet, l’extension de son royaume ne manquait pas de les inquiéter. Certains historiens affirment que la destruction de Carthage n’était pas une faveur faite à Massinissa, mais au contraire un moyen de freiner son expansion.
Outre la valeur du souverain et le courage du guerrier, il existe un autre aspect de la biographie de Massinissa qui a inspiré bon nombre d'œuvres littéraires. Sous la carrure d’athlète du grand aguelid, il y avait un cœur. Et ce cœur battait pour la belle Sophonisbe. La ravissante carthaginoise était sa promise mais, suite à son alliance avec Rome, elle épousera Syphax. Triomphant de son ennemi, Massinissa reprend Sophonisbe et l’épouse. Mais il ne jouira pas longtemps de ses noces. Les Romains voient d’un mauvais œil l’union du Numide et de la Carthaginoise.
Par crainte de son influence sur Massinissa, Scipion enlève Sophonisbe et l’emmène à Rome. En dernier recours, Massinissa lui envoie du poison et Sophonisbe se suicide pour éviter le déshonneur. L’histoire a tous les ingrédients d’une tragédie.
Et elle ne manqua pas de donner naissance à un grand nombre d’œuvres théâtrales signées par des auteurs aussi prestigieux que Pétrarque, Corneille ou Voltaire. Cette grande histoire d’amour a également inspiré plus d’une dizaine d’opéras. Par ailleurs, la fin tragique de Sophonisbe a été immortalisée par les peintres de la période baroque, dont le génial Rembrandt lui-même dans un tableau exposé au musée du Prado.  A travers ces œuvres, il apparaît que Massinissa fait partie de l’imagerie populaire européenne. Mais qu’en est-il sous nos cieux ?
A titre de comparaison, nos auteurs se sont bien plus intéressés à son révolté de petit-fils, Jugurtha. Jean Amrouche en brosse un portrait psychologique dans L’Eternel Jugurtha, tandis que Mohamed-Cherif Sahli fait de son combat contre Rome une source d’inspiration pour la lutte de libération nationale dans Le Message de Jugurtha. Bien entendu, chaque relecture nous en dit autant sur les opinions de l’auteur et le contexte de l’écriture que sur la réalité historique du personnage. Les rapports de Massinissa avec Rome apparaissant comme cordiaux, il était plus difficile de relire le personnage dans une perspective nationaliste. Du reste, la prospérité de son royaume inspire moins que la fougue de la lutte de Jugurtha, même (surtout? ) si celle-ci s’est soldée par un échec.
Massinissa reste tout de même dans les consciences comme le premier unificateur de la Numidie et comme un roi exemplaire. «Il est décrit comme un homme sobre, vivant avec les guerriers, mangeant avec les paysans… autant de valeurs qu’on aimerait retrouver chez nos dirigeants politiques», nous souffle l’historien Abderrahmane Khelifa, qui a participé, en tant que conseiller historique, au film documentaire Massinissa, de Mokrane Aït Saâda. Il ajoute que, paradoxalement, le prénom de Massinissa se trouve répandu en Kabylie et dans les Aurès, mais pas à Constantine qui fut pourtant la capitale de son royaume. Le symbole de ce grand aguelid a en effet été mis en avant pour la revendication et la reconnaissance de la dimension amazighe de l’Etat algérien. Autant dire que ce prénom est devenu un porte-drapeau pour l’amazighité.
Sans verser dans le militantisme, c’est dans cette approche de mise en avant de l’histoire berbère que nos auteurs ont abordé le personnage. C’est le cas de Abdelaziz Ferrah avec Massinissa et Sophonisbe. L’auteur tente avec cette pièce de théâtre de proposer un autre point de vue que celui de ses illustres prédécesseurs. Il affronte ainsi Corneille sur son propre terrain et redonne au personnage de Massinissa tout l’éclat qui lui revient. On peut citer, entre autres, les adaptations romanesques publiées en Algérie de Josiane Lahlou et Marie-France Briselance : respectivement Massinissa, le lion de Numidie et Massinissa le Berbère. A chaque fois, la vaillance de la cavalerie numide est valorisée ainsi que la dimension berbère de «l’Afrique aux Africains».
Enfin, dans le domaine audiovisuel, la première œuvre consacrée à Massinissa est un court métrage de Rabah Laradji. Ce documentaire de vingt minutes est sorti en 1981 en plein milieu du bouillonnement du Printemps berbère.
Mahfoud Ferroukhi, archéologue et historien, en avait signé le scénario. Il nous apprend que le film avait été financé par le très officiel Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (ONCIC) créé durant l’ère Boumediène qui n’était pas très enclin à la reconnaissance de la dimension amazighe de l’Algérie.
Le film a quand même glissé entre les mailles de la censure et obtenu le premier prix de l’ex-Biennale internationale du film et de l’archéologie de Tipasa. Petit détail qui a son importance, on voit au début du film un tracteur labourer des champs de blé avec une voix off rappelant le rôle prépondérant de Massinissa dans le développement de l’agriculture en Numidie. Voilà notre aguelid initiateur de la première «révolution agraire», deux millénaires avant l’heure.
Des années quatre-vingt à nos jours, le discours sur la dimension amazighe de l’Algérie s’est progressivement libéré et répandu. Cela n’est pas allé sans une âpre lutte et sans répression des autorités. Il se trouve, à ce propos, que le premier martyr du Printemps noir (manifestation réprimée en Kabylie en 2001) portait le nom de Massinissa. Aujourd’hui, le nom de ce souverain est inscrit dans la Constitution nationale et son mausolée représenté sur les billets de 500 dinars algériens. Ce mausolée, situé à El Khroub, n’est peut-être pas celui de Massinissa (voir article ci-contre), mais les Constantinois tiennent à leur symbole. Les jeunes mariés y vont même en pèlerinage pour recueillir la «baraka» du grand aguelid, nous apprend Ferroukhi.
Ce rituel n’est pas si anachronique qu’on pourrait le penser puisque Massinissa était, à la manière des rois hellénistiques, divinisé de son vivant. Un temple dédié à son culte a d’ailleurs été découvert à Dougga (Tunisie) ainsi que des statues situées à Rhodes (Grèce). Yacine Si Ahmed, anthropologue, va encore plus loin en établissant un lien entre l’expression «aguelid amoqran» (littéralement, le grand roi) désignant actuellement Dieu chez les amazighophones et le culte porté jadis à Massinissa…
Les passerelles entre les époques et les lieux sont potentiellement infinies et viennent enrichir le symbole de nouvelles dimensions. Chacun veut sa part du prestige de Massinissa et cela n’a pas manqué de déclencher les passions durant les trois jours qu’aura duré ce colloque inédit à El Khroub. «On pourrait peut-être en parler sereinement dans un siècle», soupire Roger Hanoune, maître de conférences en archéologie, lors d’une discussion au pied du mausolée. Il compare le mythe de Massinissa aux figures de Vercingétorix et de Trajan adoptés, en dépit du bon sens historique, comme pères fondateurs des nations française et roumaine.
On peut parler en effet d’un véritable «mythe de Massinissa». Un mythe au sens anthropologique du terme puisque le personnage dépasse les limites étroites de sa réalité historique et devient une figure hors du temps appartenant autant au passé, au présent qu’à l’avenir. Pour paraphraser un fameux slogan berbériste : «Assa, azeka, Massinissa yella, yella» (Aujourd’hui ou demain, Massinissa sera).
 
Walid Bouchakour

Une rencontre enrichissante

Constantine, capitale de Massinissa

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte
le 27.09.14 | 10h00 Réagissez

| © D. R.

Trois jours au chevet d'une histoire et d'un mythe aux dimensions multiples.

Huit mois avant la tenue de la très attendue «Constantine 2015, capitale de la culture arabe», le Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA) créé la surprise en organisant un important colloque sur Massinissa dans l’antique Cirta. Du 20 au 22 septembre, des universitaires algériens et étrangers ont interrogé la période du règne de Massinissa sous des angles novateurs devant un public hétéroclite et fortement intéressé. Les débats qui ont suivi chaque communication étaient animés, passionnés, voire enflammés. C’est en effet une des gageures de cette manifestation scientifique qui sort du cercle fermé des universitaires.
Les conférences, ouvertes au public, se sont déroulées au centre culturel M'hammed Yazid situé dans la cité anonyme des 1200 Logements d’El Khroub.  L’ouverture du colloque a été très solennelle avec la présence de la ministre de la Culture, de celle de l’Education, du président du conseil de la langue arabe ainsi que d'un représentant du ministre des Affaires étrangères. Cette présence officielle avait son importance puisqu’elle exprimait une forte volonté politique de reconsidérer la diversité culturelle algérienne non plus comme source de division mais de richesse commune.
Nouria Benghebrit annoncera son projet de généralisation de l’enseignement de la langue amazighe qui se concrétise par une classe expérimentale au CEM Kerboua d’El Khroub. Nadia Labidi affirmera, quant à elle, sa volonté d’encourager la production d’œuvres artistiques mettant en exergue la richesse de l’histoire algérienne, notamment dans sa dimension berbère. Si El Hachemi Assad, secrétaire général du Haut-Commissariat à l’amazighité, a confirmé pour sa part la dimension nationale que tend à assumer l’organisme qu’il dirige.
Quant aux conférences à proprement parler, elles ont présenté un état des lieux des recherches sur la période numide dans une approche scientifique pluridisciplinaire entre histoire, archéologie, anthropologie et linguistique. La question de l’étendue du royaume de Massinissa a été relevée par Attillo Mastino, recteur de l’université de Sassani (Italie), qui a évoqué son extension jusqu’au golfe de Syrte dans l’actuelle Libye.Le sort de ces biens fonciers entre les mains des héritiers de Massinissa a été détaillé par le professeur Ahmed Mcharek de l’université de Tunis.
La jeune chercheuse Khaoula Bennour, venue également de Tunisie, a décrit le royaume de Massinissa comme une période multiculturelle ouverte sur les civilisations puniques et hellénistiques, tandis qu’Emna Ghith (université de Sousse) a abordé le dialogue des cultures méditerranéennes à travers l’évolution des rites funéraires. A ce sujet, la persistance de la culture punique en Afrique du Nord après la chute de Carthage a été démontrée par Joséphine Crawley Quinn (université d’Oxford) et Matthew Mc Carty (Princeton). En somme, différentes dimensions de la culture numide ont été explorées comme l’architecture (Roger Hanoune), la langue (Elisabeth Fentress) ou la monnaie (Saïd Deloum).
Enfin, les chercheurs algériens Mahfoudh Ferroukhi et Abderrahmane Khelifa ont affronté l’énigme du mausolée d’El Khroub et concluent à la nécessité d’effectuer de nouvelles fouilles. La vingtaine de conférences du colloque «Massinissa, au cœur de la consécration du premier Etat numide» aura réussi à jeter des passerelles entre les disciplines, les cultures et les publics. La ville des ponts n’aura jamais aussi bien porté son nom. 
Walid Bouchakour

Le mausolée royal d'El Khroub (archéologie)

Une énigme passionnante

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte
le 27.09.14 | 10h00 2 réactions
 
 Le mausolée royal du khroub
| © D. R.
Le mausolée royal du khroub

Les scientifiques s'interrogent encore quand les profanes ne veulent pas douter.

La tenue d’un colloque sur Massinissa dans la commune d’El Khroub est liée à la présence de son fameux mausolée perché sur une colline au nord-est de la ville. Et si ce tombeau n’était pas celui de Massinissa ? Le doute est permis. Pour les scientifiques, il est même de rigueur. «Ce tombeau est daté de 120 av. J.-C. Il ne peut pas être celui de Massinissa qui est mort en 148 av. J.-C.», tranche Abderrahmane Khelifa. Il explique que les os calcinés retrouvés en 1915 pourraient être ceux de son fils Micipsa ainsi que d’un de ses petits-fils. Les premières fouilles effectuées par les architectes français Bonnelle et Ballu sont loin de faire l’unanimité. «Le travail de Bonnelle ne peut pas être qualifié de fouille, car il ne donne pas de résultat précis», estime Mahfoudh Ferroukhi.
Il ajoute que les fouilles effectuées par une équipe d’archéologues allemands durant les années 1970 sont obsolètes, car il existe aujourd’hui de nouveaux moyens de datation. «Nous avons aujourd’hui une technologie qui peut nous aider à déterminer avec précision l’identité du destinataire de ce mausolée : Massinissa, Micipsa ou un autre. Pour le moment on ne peut pas trancher. Ce qui est sûr, c'est qu’il s’agit du tombeau d’un membre de la famille royale numide postérieur à 150 av. J.-C.», explique-t-il. 
Une autre énigme est l’absence de ce mausolée, pourtant situé en évidence, dans les descriptions de la région laissées par les auteurs arabes tels que El Idrissi ou Al Bakri. «Toute la région devait être remplie de monuments antiques qui ont disparu, suppose le Dr Khelifa. Les dessins de l’époque coloniale montrent des monuments très importants qui ont été rasés.» Les deux archéologues préconisent d’effectuer de nouvelles fouilles qui pourraient nous réserver des surprises. En effet, en creusant plus profondément on pourrait découvrir un autre caveau funéraire et, pourquoi pas, retrouver les ossements de Massinissa. «Vu la grandeur du personnage, il est inconcevable que Massinissa soit enterré de façon commune. La tradition berbère veut qu’un grand roi ait un tumulus», conclut Abderahmane Khelifa. 
Walid Bouchakour

vendredi 26 septembre 2014


 La nation 25 septembre 2014

Colloque international sur Massinissa
Un universitaire traite de "l’endroit exact" de son tombeau

 La 2ème journée du colloque international sur Massinissa a été marquée, hier, par une communication du Dr. Abderrahmane Khelifa, ancien fonctionnaire au ministère de la Culture, qui s’est interrogé sur l’endroit exact où repose la dépouille du fils de Gaïa. Dans une conférence intitulée ‘‘où se trouve le tombeau de Massinissa?’’, le docteur des universités a estimé que la sépulture du roi Amazigh ‘‘se trouve bel et bien à Constantine, l’ancienne capitale de son vaste royaume, mais pas là où l’on croit qu’elle est’’.Pour le Dr. Khelifa, ‘‘s’il est établi que le mausolée érigé sur les hauteurs d’El Khroub renferme les restes de deux dignitaires Numides de haut rang, il est difficile de se prononcer de manière catégorique sur leurs identités en l’absence d’une analyse basée sur des preuves archéologiques fiables et sûres’’. Les progrès de la datation archéologique moderne, fondée principalement sur des tessons d’amphores et sur l’ADN, permettent d’identifier les corps qui gisent au Mausolée d’El Khroub et qui, vraisemblablement, appartiennent à Micipsa, le fils de Massinissa, et l’un de ses petits-fils, a estimé Dr. Khelifa. Il a invité les historiens à revoir l’ancienne datation archéologique en privilégiant la piste des analyses basées sur les amphores et l’ADN, et à effectuer de nouvelles fouilles, avant d’affirmer que le Roi numide est ‘‘obligatoirement enterré dans les environs de Constantine’’.L’universitaire avait fait état, au début de son exposé, des différentes datations et hypothèses qui, à la suite des fouilles effectuées en 1861 par les archéologues français Charbonneau et Raimond, et en 1915 par Bonnel et Ballu, ont établi que le Mausolée abritait la dépouille d’un ‘‘grand roi Numide’’.


Colloque international sur Massinissa: un universitaire traite de "l’endroit exact" où repose Massinissa

    Dimanche, 21 Septembre 2014 17:19 
    Publié dans: SOCIÉTÉ
     Lu: 433 fois


Colloque international sur Massinissa: un universitaire traite de "l’endroit exact" où repose MassinissaPhoto APS - Archives
Partage sociaux
Share on print
PRINT_ARTICLE
Share on email
SEND_TO_FRIEND
More Sharing Services
MORE_OPTIONS

CONSTANTINE- La 2ème journée du colloque international sur Massinissa a été marquée, dimanche, par une communication du Dr. Abderrahmane Khelifa, ancien fonctionnaire au ministère de la Culture, qui s’est interrogé sur l’endroit exact où repose la dépouille du fils de Gaïa.
Dans une conférence intitulée ‘‘où se trouve le tombeau de Massinissa?’’, le docteur des universités a estimé que la sépulture du roi Amazigh ‘‘se trouve bel et bien à Constantine, l’ancienne capitale de son vaste royaume, mais pas là où l’on croit qu’elle est’’.
Pour le Dr. Khelifa, ‘‘s’il est établi que le mausolée érigé sur les hauteurs d’El Khroub renferme les restes de deux dignitaires Numides de haut rang, il est difficile de se prononcer de manière catégorique sur leurs identités en l’absence d’une analyse basée sur des preuves archéologiques fiables et sûres’’.
Les progrès de la datation archéologique moderne, fondée principalement sur des tessons d’amphores et sur l’ADN, permettent d’identifier les corps qui gisent au Mausolée d’El Khroub et qui, vraisemblablement, appartiennent à Micipsa, le fils de Massinissa, et l’un de ses petits-fils, a estimé Dr. Khelifa.
Il a invité les historiens à revoir l’ancienne datation archéologique en privilégiant la piste des analyses basées sur les amphores et l’ADN, et à effectuer de nouvelles fouilles, avant d’affirmer que le Roi numide est ‘‘obligatoirement enterré dans les environs de Constantine’’.
L’universitaire avait fait état, au début de son exposé, des différentes datations et hypothèses qui, à la suite des fouilles effectuées en 1861 par les archéologues français Charbonneau et Raimond, et en 1915 par Bonnel et Ballu, ont établi que le Mausolée abritait la dépouille d’un ‘‘grand roi Numide’’.
Cependant, après les analyses de certains équipements funéraires retrouvés dans la sépulture, actuellement exposés au musée public national Cirta, il s’est avéré que la datation archéologique de ces objets remontait à la fin du 2ème siècle avant l’ère chrétienne, ce qui tend à prouver que la sépulture serait celle de Micipsa, son fils qui avait vécu entre l’an 148 et 118 avant JC, a soutenu le conférencier, rappelant qu’un autre corps, plus jeune encore a été également retrouvé dans le même tombeau.

Abderrahmane Khelifa. Docteur des universités

« Il faut refaire la fouille du tombeau de Massinissa »

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte
le 24.09.14 | 10h00 Réagissez

| © D. R.

Docteur des universités et ancien cadre du ministère de la Culture, Abderrahmane Khelifa est considéré parmi les spécialistes qui ont beaucoup travaillé sur l’histoire du Maghreb central. En marge du colloque sur Massinissa organisé cette semaine à El Khroub, il a bien voulu nous accorder cet entretien.

-Dans votre ouvrage «  Cirta, Constantine, la Capitale céleste», paru en 2011 vous mentionnez que Cirta signifie «ville»,  par contre Carthage, est définie comme «ville nouvelle», pourrons nous dire que Cirta est bien ancienne que Carthage ?
Bien sur on peut le dire, parce que l’établissement humain à Cirta est beaucoup  plus ancien que celui de Carthage, dans la mesure où vous avez sur les parois du  rocher, la grotte de l’ours, celle des mouflons, ainsi que la grotte du pigeon. On a trouvé des vestiges préhistoriques et protohistoriques.  C’est à  dire qu’avant l’histoire, il y avait déjà des hommes, des humains qui vivaient à  Cirta.  Cela veut dire que l’homme était là depuis des centaines de milliers d’années. Et c’est pour ça, je vous dis que Cirta n’est pas simplement une agglomération à l’époque historique mais, elle a été auparavant un site occupé depuis des centaines de milliers d’années. Par exemple, il y avait une nécropole préhistorique sur le plateau du Mansourah où vous avez actuellement le monument aux Morts. Aussi, on a trouvé sur l’emplacement de la grande mosquée de Constantine à la rue Larbi Ben M’hidi, des colonnes qui appartenaient à un temple dédié à Vénus, c’est un temple sacré transformé en basilique chrétienne avant de devenir une mosquée.
-Durant le premier colloque sur Massinissa certains spécialistes ont avancé la consécration du premier Etat numide revient au roi Syphax, quel commentaire apportez vous ?  
A cette époque là, il y avait deux royaumes, celui de Syphax et celui de Gaia, père de Massinissa. Donc, il faut imaginer que même du temps de la fondation  de Carthage, il  y avait un Etat numide. On a le nom de ce roi numide qui était contemporain de Elissa, fondatrice de Carthage.  C’est lui qui a vendu un morceau  de terrain à Elissa pour qu’elle fonde sa ville. Il  faut enlever cette idée que les phéniciens sont arrivés dans un pays qui n’existait pas, où il n’y avait pas d’Etat où il n’y avait pas de royaume.  L’Afrique du nord n’était pas un no man’s land où il n’y avait personne. Il y avait déjà des royaumes qui étaient constitués. C qu’on connaît de ces royaumes, nous vient malheureusement des guerres puniques.
-«Où  se trouve Massinissa» a été le thème de votre communication. Quelle est l’origine de ce patrimoine national et quel sont les derniers travaux archéologiques réalisés pour sa revalorisation ?
Les dernières hypothèses disent que ce serait le tombeau de son fils. Pour cela, on se base sur les fouilles de 1915 et 1916, réalisées par les architectes de l’époque coloniale, Bonnel et Ballu. On sait qu’ils ont démonté l’ensemble du monument mais on ne sait pas véritablement si le caveau qui a été trouvé est le seul. Il faudrait refaire la fouille, redémonter l’édifice, revoir avec beaucoup de précision ce qui a été fait. Peut être on trouvera d’autres éléments qui vont nous donner une meilleure datation de ce monument. Il faudrait engager ce genre de travaux, parce qu’ils font partie de notre histoire. Refaire la fouille  du  tombeau  de Massinissa d’El Khroub est aussi faire un chantier-école international.
-D’autres personnalités historiques de Constantine méritent d’être remises au grand jour, quelles personnalités emblématiques vous proposez ?
Constantine est riche en personnages. L’événement de 2015 est une opportunité pour les aborder. Vous avez plusieurs grands hommes.
Il faudrait qu’on puisse faire des colloques sur des grands hommes  comme par exemple le grand maître de la langue latine Franton de Cirta, Apulée de Madaure, qui  a été grand romancier, Ibn Konfud et Abdelhamid Benbadis.                                                                                                      
 
O.-S. Merrouche

vendredi 24 janvier 2014

Découverte : Une inscription latine sur le tracé de l'autoroute de la Soummam

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte
le 24.01.14 | 10h00 Réagissez
 
 La découverte a été faite près du confluent de l'oued Bou Sellam et l'oued Sahel, dans la vallée de la Soummam.
zoom | © El Watan Weekend
La découverte a été faite près du confluent...

La découverte d’une importante inscription latine grâce à un citoyen, Farid Debouze, près de la sablière, pose le problème de la protection de notre patrimoine.

Grâce à la sensibilisation de ce citoyen, cette inscription, qui est en cours d’étude et de publication, a pu être préservée, apporte un éclairage sur l’histoire de la région. Le sol algérien n’a pas dévoilé toutes ses richesses archéologiques et historiques, particulièrement sur cette voie de passage très ancienne. Des milliers d’Algériens et de Chinois vont s’affairer dans la vallée de la Soummam pour construire le tronçon d’autoroute la «pénétrante» qui désenclavera Béjaïa, et la reliera dans des conditions acceptables au reste du réseau routier de notre pays.
Cette autoroute cheminera le long de la vallée de la Soummam, soit sur le côté gauche, soit sur le côté droit, selon les accidents topographiques ou les contraintes urbaines, en bordure des zones inondables. La vallée de la Soummam a de tout temps été empruntée par les hommes et elle est considérée comme le cordon ombilical qui relie la prestigieuse capitale des Hammadides à son arrière-pays. Déjà dans l’antiquité, on fit appel à un certain Nonius Datus qui prit naturellement cette voie pour venir construire l’aqueduc de Toudja. Les armées fatimides, hammadides, almohades, hafsides, turques, françaises prirent ce chemin, celui du fleuve pour mater les populations locales. A ce titre, une grande partie de notre histoire est enfouie dans ces territoires qui jouxtent le fleuve que l’homme a de tout temps aménagé pour s’y installer.
Mastie ?
Cette très importante inscription, qui vient d’être découverte non loin du confluent de l’oued Bou Sellam et l’oued Sahel, se situe exactement sur l’axe de la future autoroute. Elle nous livre le nom d’un comte romano-berbère, Mastie ? (la syllabe finale n’est pas encore établie), type de nom bien connu dans l’onomastique berbère puisque l’on connaît un chef aurésien qui portait presque le même nom. L’épigraphiste J.-P. Laporte a bien voulu vous en donner, sur photographies, une traduction provisoire  : En l’année de la province 367, au nom du Christ, Flavius Mastien, de rang clarissime, comte, a achevé heureusement ce domaine (appelé) Tête de dragon.
L’année 367 de la province romaine de Maurétanie césarienne (Algérie centrale et occidentale) correspond à 406 après J.-C., mais une ligature (deux lettres liées) pourrait amener à la lire autrement. Le nom du comte comporte deux parties, Flavius, nom latin, et Mastien, beau nom berbère du même type que Masties ou Mastinas, mais pas identique. L’un des plus hauts dirigeants romains de la province était un Berbère romanisé. L’étendue de sa fonction devra être discutée. L’appellation Tête de dragon pourrait s’appliquer au piton d’Akbou, au pied duquel cette inscription a été découverte.
Vigilance
Cette découverte, très importante sur le plan historique, prélude à la découverte d’autres inscriptions et d’autres vestiges, qui enrichiront notre histoire en apportant de nouveaux éclairages sur la vie des populations locales sous les différentes civilisations si nous sommes assez vigilants pour empêcher les détériorations ou carrément les destructions de pierres de taille portant la précieuse indication historique. La plupart des sites archéologiques de la vallée seront touchés par le tracé autoroutier depuis Béjaïa jusqu’à Bouira. Ils seront soit démolis, soit remblayés à jamais, effaçant par la même des pans entiers de notre histoire. D’où la nécessité d’une surveillance de tous les instants pour ne pas répéter les erreurs faites lors du tracé de l’autoroute Est-Ouest où des sites archéologiques ont été rasés et des dolmens détruits dans la région de Constantine.
Prospection
Cela vaudrait un minimum de surveillance archéologique, voire des fouilles, notamment l’extraordinaire site de M’lakou, praedium/praesidium de Firmus, l’un des plus grands résistants autochtones contre Rome (370-375). L’actuelle découverte fortuite nous montre que des trésors appartenant à notre patrimoine risquent de disparaître à jamais sur l’ensemble de la vallée englobant des dizaines de sites si une sérieuse prise en charge n’est pas faite pour suivre pas à pas le tracé. Ces vestiges de toutes époques (préhistorique, antique, médiévale…) risquent d’être effacés. Aussi, il est nécessaire de faire précéder les chantiers autoroutiers par des prospections sur le tracé de l’autoroute, voire des fouilles préventives, et faire suivre les travaux par des archéologues familiers des terrains et des sites.
Ces archéologues doivent dépendre de circonscriptions archéologiques, dont le travail est le suivi sur le terrain et non pas être dans une structure administrative (style direction de la culture), loin des réalités du terrain. En conclusion, nous avons affaire à une très belle inscription qui ne manquera pas de susciter de nombreuses et instructives discussions scientifiques et apporter de nouvelles visions sur les structures locales pendant la période romaine.
Abderrahmane Khelifa, archéologue, historien