vendredi 7 octobre 2011

Abderrahmane Khelifa. Historien archéologue : « Après presque 50 ans d’indépendance, pourquoi faire appel à des étrangers pour écrire notre histoire ? »
Pendant longtemps l’archéologie était considérée comme une science auxiliaire de l’histoire parce que confinée dans l’histoire de l’art monumental. Aujourd’hui, elle dépend de plus en plus étroitement d’une multitude de sciences dont elle tend à adopter de plus en plus les méthodologies : physique, chimie, biologie, économie, sciences politiques, sociologie, climatologie, etc. … En tant que science, l’archéologie est perçue, avant tout, comme un processus de synthèse, une étude des cultures humaines, un support essentiel à l’écriture de l’histoire. Cela est d’autant plus vrai pour les pays du Maghreb et particulièrement l’Algérie, où les sources écrites sont rares pour les périodes antique, médiévale. Ces sources sont avares de renseignements quand il s’agit de décrire les transformations urbaines et dans la mesure où elles ne renseignent pas sur les aspects de la vie quotidienne et de l’activité économique.

Siècles obscurs
Aussi, on aurait pu penser que, une fois l’indépendance recouvrée et la volonté d’une réécriture de l’histoire, on allait privilégier des pistes nouvelles avec la perspective d’axes fondateurs majeurs pour asseoir une identité débarrassée de la langue coloniale qui affirmait par la voix de Lucien Golvin :« L’Algérie n’a pas d’histoire propre » reprenant dans l’ introduction à son livre Le Maghreb central à l’époque des Zirides, un des justificatifs de la colonisation qui voyait dans la recherche archéologique un moyen de rétablir le pont entre Rome et la colonisation enjambant allégrement les « siècles obscurs » chers à Félix Gautier. Ce ne fut d’ailleurs pas un hasard si la direction des antiquités dépendait directement du Gouverneur général (ministère de l’Intérieur) et si à l’Indépendance on ne trouvait les Algériens qu’aux postes de gardien de musée ou de sites.

Paradoxalement, cette idée fut reprise par nombre d’Algériens qui considèrent que les sites antiques sont étrangers à notre identité faisant de leurs habitants comme Apulée de Madaure, Augustin de Thagaste, Fronton de Cirta, Optat de Milev, des étrangers à leur pays, alors qu’ils se revendiquaient tous « Afri sum » (je suis Africain). Si nous nous référons au siècle dernier, nous constatons que la connaissance de l’Afrique antique et médiévale a progressé grâce à l’archéologie, l’épigraphie et la numismatique qui ont révélé des structures urbaines nouvelles et des dizaines de milliers d’inscriptions qui ont éclairé de façon éclatante une histoire faite d’événements, de révoltes, mais aussi de vie sociale et urbaine et ce dans les coins les plus reculés de nos campagnes même si certaines conclusions étaient biaisées.

Compétences locales infimes
Les fouilles effectuées ces cinquante dernières années montrent qu’une génération d’archéologues algériens a entrepris des travaux dans différents sites et périodes : Tipasa, Tébessa, les Djeddars, Sétif, Lambèse, Cherchell, la Qal’a des Béni Hammad, Tlemcen- Agadir, Honaïne, Achir, sans compter les fouilles préhistoriques qui sont tout aussi nombreuses : Tin Anakaten, Afalou, Ngaous, Mankhour, etc. qui firent l’objet de publications dans Lybica ou le Bulletin d’archéologie algérienne qui malheureusement ne paraît plus… faute d’articles scientifiques.

Cette capitalisation d’un savoir-faire peut nous faire poser la question de savoir si, après environ un demi-siècle d’indépendance, nous sommes en mesure de diriger des chantiers de fouilles. Et paradoxalement, nous demander aussi pourquoi faire appel à des étrangers pour écrire notre histoire. Pourtant l’existence de numismates, d’experts en mosaïques, d’épigraphistes, de céramologues et de dessinateurs devrait pousser les responsables à employer les compétences locales même si elles sont infimes. L’exemple de la place des Martyrs est suffisamment édifiant à ce sujet. Faut-il dans ce cas poursuivre ou revoir la formation des archéologues à l’institut d’Archéologie lequel sort chaque année des promotions de dizaines d’archéologues depuis les années 90 si ces derniers sont dans l’incapacité de travailler valablement sur un chantier de fouilles.

Ainsi, nous ne pouvons pas dire que l’archéologie est un vecteur essentiel dans la recherche de notre identité. La preuve ? Les circonscriptions archéologiques ne sont plus opérationnelles puisqu’elles ont été supprimées par des bureaucrates qui n’ont jamais mis les pieds sur un chantier de fouilles sous le mauvais prétexte qu’elles faisaient partie de l’ancien découpage colonial… Les constructeurs peuvent en toute quiétude démolir des pans entiers de notre identité et faire passer l’autoroute sur des dolmens ou des structures archéologiques antiques !

Source: EL WATAN du 14.05.2010

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