vendredi 7 octobre 2011


Massinissa



La bataille de Zama (fragment d'une tapisserie du 16ème siècle)
Massinissa, un géant de notre histoire
Par Abderrahmane Khelifa, inspecteur des monuments historiques - Djazaïr 2003, revue du commissariat général de l'année de l'Algérie en France

Dans l'histoire plusieurs fois millénaire de notre pays, une place particulièrement importante revient à Massinissa (238-148 avant J.-C.). Il fut le fondateur du plus puissant et plus vaste royaume numide de l'histoire, s'étendant du fleuve Moulouya à l'Ouest jusqu'à la Cyrénaïque à l'Est.
Il réussit à préserver l'indépendance de son royaume en jouant habilement de la rivalité entre Rome et Carthage, tout en lui garantissant une prospérité économique certaine, grâce au remarquable développement de l'agriculture et de l'élevage.





Monnaie à l'effigie de Massinissa
L'origine des royaumes berbères du Maghreb remonte probablement vers le milieu du deuxième millénaire avant l'ère chrétienne puisque nous savons par des dessins et des hiéroglyphes que des rois nordafricains envahirent l'Egypte en 1227 , en l'an 5 du règne de Mineptah. A la fin du IXème siècle avant notre ère, Elissa princesse de Tyr, négocia avec un roi Numide, Hiarbas, l'installation de sa petite colonie dans le Golfe de Tunis. Plus tard au III ème siècle avant J.C., ces rois numides apparaissent à travers les récits concernant les trois guerres puniques qui opposèrent durant plus de cent ans les deux grandes puissances de l'époque : Rome et Carthage. C'est vers la fin de la première guerre, en 238 avant J.C., que Gaïa donne naissance à Massinissa. L'enfant, tout en apprenant le métier des armes dût recevoir une éducation princière , car descendant d'une lignée prestigieuse de rois Massyles. En effet, ses ancêtres régnaient depuis plusieurs générations sur une grande partie de l'Algérie orientale et une partie de la Tunisie occidentale . Leur capitale était Cirta, l'actuelle Constantine. C'est tout naturellement que le jeune Massinissa part en Espagne pour combattre à la tête d'une armée numide, aux côtés de ses alliés et voisins carthaginois.

Stèle représentant un marchand d'huile (Musée de Cherchell)
Massinissa se trouvait encore en Espagne, quand son père Gaïa mourut en 206 avant J. C. Il avait été alors contacté par des représentants de la République romaine qui cherchaient des alliés solides en Afrique pour pouvoir affronter Carthage. Devant l'alliance Carthage-Syphax qui prenait son territoire en tenailles, il conclut un pacte d'alliance avec Scipion en 206-205. Ayant regagné l'Afrique pour faire valoir ses droits à la succession, il dut combattre ses rivaux qui avaient l'appui de Syphax , roi de la Confédération des Massaessyles, qui régnait sur la partie occidentale de l'Algérie et qui avait pour capitale Siga, sur les rives de la Tafna. Les territoires Massyles furent envahis par Syphax qui contraignit Massinissa, blessé, à se réfugier en Tripolitaine. Là , Massinissa reconstitua son armée avant d'engager, aux côtés de celle de Scipion, débarquée en Afrique, les hostilités contre Carthage et Syphax. L'affrontement final a lieu à Zama en Octobre 202. La cavalerie numide menée par Massinissa joua un rôle essentiel dans la victoire. Carthage est vaincue, Syphax est blessé et fait prisonnier. Massinissa rentre dans Cirta et retrouve son trône. On dit qu'il y retrouva la belle princesse carthaginoise Sophonisbe qui lui avait été promise, mais qui fut mariée à Syphax en échange de son appui.

Des terres qui fructifient deux fois

Au lendemain de la victoire de Zama, Massinissa se trouve à la tête d'un vaste royaume s'étendant à l'ouest jusqu'au fleuve Moulouya. La limite orientale, elle, était mouvante et pendant un demi-siècle (202- 148), Massinissa la fait reculer au détriment de Carthage, considérant que ces territoires avaient appartenu à ses ancêtres. En 193, il soumet les villes de Tripolitaine. Cette politique de conquête fut entreprise par étapes et lui permit de s'emparer de nombreuses villes du littoral septentrional , de la côte du Sud-Est et de la région des grandes plaines ( Tunisie occidentale). Ces conquêtes territoriales eurent, entre autres conséquences, de faire du Royaume Massyle une puissance maritime, héritière de l'ancien Empire carthaginois. Depuis la Moulouya jusqu'à Tabarka, les ports numides, en plus de ceux qui jalonnaient les côtes de la petite Syrte et de la Tripolitaine assuraient le contrôle des exportations numides sur l'ensemble du bassin méditerranéen. Une flotte de guerre importante protégeait les bateaux de commerce. Cette ouverture vers le commerce attira des marchands italiens, grecs, égyptiens, syriens…De ces échanges, il subsiste de nombreux témoignages littéraires, épigraphiques et archéologiques.


Le site de Cirta l'actuelle Constantine
C'est surtout avec Rhodes, grande puissance commerciale, que les marchands numides commercent. Un marchand de Rhodes fit élever une statue à Délos en l'honneur de Massinissa. Celui-ci avait offert aux Rhodiens du bois de thuya et de l'ivoire. Au musée de Cirta, des amphores rhodiennes trouvées dans des sépultures témoignent de l'importance du commerce grec. Les estampilles conservées sur les anses de la plupart des amphores, permettent de les dater du II ème siècle avant l'Ere chrétienne. Nicomède, roi de Bithynie, lui éleva aussi une statue pour son attitude bienveillante: Massinissa avait envoyé un chargement de blé qui fut vendu au profit du temple d'Apollon. Massinissa réussit à imposer la paix et la stabilité à ses sujets, anciens et nouveaux, nomades pour la plupart. Il développa chez eux l'agriculture qui les attacha à la terre et les enrichit. L'historien Polybe pouvait écrire: "Voici ce qu'il fit de plus grand et de plus merveilleux; avant lui, toute la Numidie était inutile et considérée comme incapable par sa nature de donner des produits cultivés. C'est lui le premier, lui seul, qui montra qu'elle peut les donner tout autant que n'importe quelle autre contrée, car il mit en valeur de très grands espaces". Massinissa encouragea le travail de la terre aux dépens de l'économie pastorale, la vie sédentaire au détriment du nomadisme et l'habitat groupé et en dur à la place de la tente que l'on transportait de pâturage en pâturage. Des témoignages épigraphiques et littéraires reconnaissent à la Numidie une production céréalière abondante et même excédentaire. Strabon parle "des terres qui fructifient deux fois ; ils font deux récoltes l'une en été l'autre au printemps, la tige de la plante atteint une hauteur de cinq coudées et une grosseur égale à celle du petit doigt ; le rendement est de 240 pour un". Tite-Live signale des quantités considérables de blé fournies par Massinissa aux armées romaines pendant les guerres contre Philippe, Antiochus et Persée. Si les céréales occupaient dans l'agriculture numide une place de choix, les arbres fruitiers ne manquaient pas à la richesse des grands domaines : l'olivier, la vigne, le figuier, le grenadier. Tous ces arbres fruitiers étaient cultivés en Numidie, surtout autour des grandes agglomérations comme Cirta, Theveste, Dougga, ainsi que sur les côtes. La culture de la vigne est attestée à Gunugu (Gouraya) à l'Ouest de Cherchell, alors qu'à Leptis Magna et dans la région de Theveste, il y avait de vastes étendues d'oliveraies. Par ailleurs, dans les régions méridionales, les Numides cultivaient le palmier.

Tombeau supposé de Massinissa au Khroub
Rien de semblable dans tout le reste de la terre
Les auteurs anciens vantaient les atouts de la Numidie en matière d'élevage. Parlant de cette contrée Polybe écrivait : "l'abondance de chevaux, de boeufs,de moutons et de chèvres est telle que je ne pense pas qu'on puisse trouver rien de semblable dans tout le reste de la terre... La raison en est que beaucoup de tribus de la Numidie ne font pas usage de la culture mais vivent de leurs troupeaux". Le cheval semble avoir été l'objet d'une attention toute particulière de la part des rois numides. Le fils de Massinissa, Micipsa, pouvait réunir autour de Cirta 10.000 chevaux. Le nombre de poulains recensés dans toute la Numidie était de 100.000 à la même époque. Ce cheval est montré au revers des monnaies royales. Son rôle dans la cavalerie numide fut déterminant. Il est l'ancêtre de notre cheval barbe. Une inscription grecque fait état d'une victoire remportée par les chevaux de Mastanabal aux Panathénées de 168. La frappe de la monnaie se multiplia sous Massinissa, circulant sur l'ensemble du bassin méditerranéen et bien au delà. Les monnaies étaient en cuivre ou en plomb. Elles portaient à l'avers un personnage barbu (Massinissa) dont la tête était ceinte de lauriers et, au revers, un cheval au galop ou, plus rarement, un éléphant. Le nom de Massinissa (MSNSN) était inscrit au bas de la pièce.

Le règne de l'Aguellid Massinissa reste un record de longévité : 56 ans! De taille élevée, il avait une solide constitution et une étonnante vigueur. Il avait eu 44 enfants mâles. Tous les historiens vantent son endurance. Il était ainsi capable, dit-on, de rester debout ou à cheval toute une jour née. Octogénaire, il sautait sur sa monture sans aucune aide. C'est la stabilité qui résulta de ce long règne qui permit le développement de l'agriculture et du commerce comme l'attestent la diffusion exceptionnelle de la monnaie et la multiplication des villes du Maghreb central. Ainsi s'installait sur la rive sud de la Méditerranée, une grande puissance qui pouvait rivaliser avec Rome. Cette dernière , consciente du danger, décida de prendre l'initiative en s'immisçant dans le partage du royaume de Massinissa quand il mourut en 148 avant J.-C.

Tombeau de Massinissa "reconstitué"
Le long règne de Massinissa n'est perçu par les historiens romains qu'à la lumière des événements qui intéressent Rome. Il sont forcément orientés, même si des auteurs comme Polybe, qui fut reçu par Massinissa en 150, ou Strabon, chantèrent ses louanges. Ptolémée Evergète nous apprend que dans son palais de Cirta, il présidait des banquets dignes d'un souverain hellénistique. Tite-Live nous apprend que Mastanabal était instruit dans les lettres grecques. Il nous renseigne fidèlement sur les contingents que Massinissa mit à la disposition de Rome contre ses ennemis. Mais Massinissa tenait à l'indépendance de son pays. Tite-Live affirme que le grand Aguellid proclamait que l'Afrique devait appartenir aux Africains. C'est dans cet esprit qu'il entreprit de reconquérir les terres prises par Carthage qu'il considérait comme étrangère à l'Afrique. Les documents archéologiques et épigraphiques sont trop peu nombreux pour donner un éclairage complet de ce passé numide. Les tombeaux du Médracen ou du Khroub, ou encore le Mausolée de Dougga donnent cependant la mesure architecturale de cette période. De même que les nombreuses pièces de monnaie trouvées dans la région de Constantine ou du côté de Siga nous éclairent sur le règne de Massinissa. Mais cela reste insuffisant au regard de l'épopée de ce monarque d'exception à qui l'on attribue l'institution de l'écriture libyque. Stéphane Gsell put dire de lui qu' "il fut, en un frappant raccourci, le plus grand entre les plus grands souverains de la Berbèrie: l'Almoravide Youcef Ibn Tachfin, l'Almohade Abd El Moumen Ibn Ali, le Chérif marocain Moulay Ismaïl qui, à bien des égards, lui ressemblèrent. Il étendit ses Etats de la Maurétanie à la Cyrénaïque, amassa de très grosses sommes d'argent, et entretint des troupes nombreuses et aguerries. Il propagea l'agriculture et développa la vie urbaine. Grecs et Romains reconnurent en lui un vrai monarque…".

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