vendredi 7 octobre 2011


La Qal’a en Héritage (A. Khelifa)

Le texte présenté ici a écrit par M. Abderrahmane Kh elifa d’après les sources « arabes » et les archéologues – historiens Golvin, Beylié ou Blanchet. Il a été publié en 2003 dans un catalogue d’exposition édité par Acte Sud : « L’Algérie en Héritage« .

La Qal’a des Beni Hammad

La dynastie Hammadide est une branche cadette de celle des Zirides qui s’étaient installés en Ifriqiya après le départ des Fatimides pour Le Caire en 973. Bologuine ibn Ziri, le bras armé de la dynastie Fatimide au Maghreb, était désigné par son père et investi par le calife chiite Al-Mu’izz. Son installation à Kairouan, puis son règne ne provoquèrent pas de troubles majeurs. Mais à l’avènement de son fils Al-Mansur, les frères de ce dernier se révoltèrent, à l’exception de Hammad qui apporta son soutien au nouveau souverain. Il se posa alors en défenseur de la dynastie sanhadjienne et combattit les Zénètes aux frontières de l’ouest.
C’est en 1007-1008 que Hammad Ibn Bologuine obtint de son neveu et suzerain Badis l’autorisation de fonder une ville et d’en faire sa capitale. Bientôt Hammad affirma son désir d’autonomie et la rupture fut consommée en 1014-1015 lorsque Badis voulut retirer à Hammad le commandement des villes de Tijis, Constantine et Qasr al Ifriqi. II s’ensuivit une série de batailles au terme desquelles Hammad se retrouva assiégé dans la Qal’a. Il ne dut son salut qu’au décès subit de Badis lors du siège. La guerre se poursuivit par intermittence, mais en définitive les princes zirides s’accommodèrent de l’existence d’un royaume concurrent à leurs frontières. Le royaume des Hammadides, essentiellement sous le règne d’Al Nacir (1066-1088), connut un développement artistique, culturel et économique sans équivalent sous celui des autres princes de la dynastie. La Qal’a, suite aux troubles intervenus dans les villes d’Ifriqiya, liés aux invasions hilaliennes, devint le refuge et le centre de rayonnement d’une grande partie du Maghreb. De toute part accoururent savants, théologiens et commerçants. C’est à cette époque que le royaume gagna sa plus grande extension territoriale, avec Tiaret et le Chélif comme marches à l’ouest et, à l’est, jusqu’à Mila, Constantine, le sud de Sétif et la région de Biskra.
La situation se dégrada rapidement à l’arrivée des tribus hilaliennes au Maghreb central. AI-Nacir fut défait et dut se réfugier à la Qal’a (1065) puis composer avec les tribus arabes qui occupaient son territoire. Il comprit la nécessité de fonder une autre capitale qui ne fût pas à l’intérieur des terres et porta son choix sur le port de Bejaia. Très vite, les souverains Hammadides firent de la nouvelle capitale un pôle économique et culturel ouvert sur la Méditerranée jusqu’à l’arrivée des Almohades qui détruisirent la Qal’a et mirent un terme au règne de la dynastie (1163). Ainsi les Hammadides gouvernèrent sans partage durant plus de 150 ans en imprimant au Maghreb central un goût pour l’architecture que l’on peut apprécier dans les monument édifiés à la Qal’a. A la cour, ils entretinrent des poètes, des savants, des artistes…
Le site sur lequel a été édifiée la Qal’a des Beni Hammad se trouve sur le versant sud du Djebel Maadid qui surplombe les plaines du Hodna, à environ une centaine de kilomètres de Bejaia. Dominé au nord par le Djebel Takerboust qui culmine à 1458 m, à l’ouest par le mont Gorein qui s’élève à 1190 m, le site est bordé à l’est par la vallée de l’oued Fredj qui assure le ravitaillement en eau et dont les gorges constituent une défense naturelle. La ville est bàtie sur un plateau incliné à 950 m d’altitude, d’ou son nom de Qal’a (forteresse). Elle portera indifféremment le nom de Qala’t Abi Tawil, QaI’a du Hodna, Qala’t Hammad, ou Qala’t Banu Hammad. Le site, à la valeur stratégique évidente, avait déjà été occupé à l’époque romaine, puisque des fouilles effectuées en 1898 par le général de Beylié ont permis de mettre au jour une mosaïque représentant le triomphe d’Amphitrite, actuellement exposée au musée national des Antiquités d’Alger. Au Xe siècle, l’endroit servit de refuge à Abû Yazid, « l’homme à l’àne », qui se révolta contre les califes Fatimides entre 929 et 947. Les chroniqueurs de l’époque mettent l’accent sur le relief accidenté des lieux.
Le choix du site fut sûrement dicté par le souci qu’avait Hammad de se protéger de ses cousins d’Ifriqiya. L’historien lbn Hammad nous apprend que la construction de la ville fut confiée à un nommé Bouniache. Hammad y transporta des habitants de M’sila et de Hamza (près de Bouira), ainsi que des tribus djeraoua.
La ville subit plusieurs sièges en rapport avec les conflits qui opposèrent les Hammadides à leurs cousins zirides d’Ifriqiya. Malgré cela, elle connut un essor sans pareil. Les géographes et les historiens la décrivent en termes élogieux. Al Bakri, qui vécut au XVe siècle et l’appelle « Qal’t Abi Taouil », nous indique qu’elle était « une grande et forte place de guerre et devint, après la ruine de Kairouan par les Beni Hilal, une métropole. Comme les habitants de l’Ifriqiya sont venus en foule pour s’y établir, elle est maintenant un centre de commerce qui attire les caravanes de l’Irak, du Hedjaz, de l’Egypte, de la Syrie et de toutes les parties du Maghreb »
Un siècle plus tard, Al Idrissi, géographe qui séjourna auprès du roi Roger II de Sicile, décrit la ville en ces termes: ‘Al Qal’a s’appuie sur une haute colline difficile à escalader. Elle est entourée de remparts. C’est une des villes qui ont le plus vaste territoire, une des plus peuplées et des plus prospères, des plus riches et des mieux dotées en palais, en maisons et en terres fertiles. Son blé est à bas prix, sa viande est excellente… » Un géographe du XIIIe siècle, Yaqut al Himawi, loue la qualité de ses feutres et la finesse des vêtements et broderies qu’on y fabriquait.
lbn Khaldoun écrit, au XIVe siècle: « La Qal’a atteignit bientôt une haute prospérité ; sa population s’accrut rapidement et les artisans ainsi que les étudiants y venaient en foule des pays les plus éloignés et des extrémités de l’empire. Cette affluence de voyageurs avait pour cause les grandes ressources que la nouvelle capitale offrait à ceux qui cultivaient les sciences, le commerce et les arts. »
[SinglePic not found]La Qal’a est l’exemple type de ville forteresse, construite en altitude et entourée de montagnes. En plus de l’avantage du site, la ville était dotée d’un mur d’enceinte en pierre de 7 km de périmètre et d’une épaisseur variant entre 1,20 et 1,6o m. Ces remparts escaladaient les versants des montagnes environnantes ou furent installées des tours de guet, protégeant ainsi l’ensemble des quartiers de la ville ; ils redescendaient le long de la falaise constituée par les gorges de l’oued Fredj. Sur le bord de cette falaise fut édifié un impressionnant donjon, appelé donjon du Manar. Un mur intérieur séparait le quartier des Djeraoua du reste de la ville. On entrait dans la cité par trois portes, Bab al Aqwas (la porte des Arcades) au nord, Bab Djenan (la porte du Jardin) à l’ouest et Bab Djeraoua (la porte des Djeraoua) au sud. Une rue principale traversait la ville d’est en ouest, de Bab Djenan à Bab al Aqwas. Une autre rue reliait Bab Djeraoua à la rue principale. Hammad ibn Bologuine fit construire son palais au nord de cet axe et la Grande Mosquée au sud, puis les quartiers populaires comme celui des Djeraoua à l’ouest. Nous pouvons supposer que ses successeurs embellirent la ville et agrandirent les édifices construits par le fondateur de la dynastie.
L’art des Hammadides est connu gràce aux monuments exhumés au cours des diverses campagnes de fouilles effectuées depuis la fin du XIXe siècle jusqu’au début de l’indépendance. Seuls deux monuments étaient encore debout: le minaret et le donjon du Manar.

LES MONUMENTS

LA GRANDE MOSQUÀ‰E

Les fouilles ont permis d’établir un plan complet de l’édifice religieux, bàti sur un plan rectangulaire de 63,30 m sur 53,20 m. C’est, après la mosquée de Mansourah, le plus grand sanctuaire d’Algérie. Elle compte treize nefs orientées nord-sud, les cinq nefs centrales étant isolées par un mur. Certains archéologues y ont vu une maqsoura alors que d’autres pensent qu’il s’agit d’une salle de prière réduite qui a remplacé celle de plus grandes dimensions quand la Qal’a fut désertée après la conquête almohade en 1163. La salle de prière comptait quatre-vingt-quatre colonnes dont il ne subsiste que les bases. La mosquée possède une cour séparée de la salle de prière par plusieurs portes. Le minaret se dresse sur le côté nord de la cour. C’est le plus ancien minaret d’Algérie après celui de Sidi Bou Marwan à Annaha. Il est décoré sur sa face sud, c’est-à-dire celle qui donne sur la cour de la mosquée, par des niches et des défoncements disposés en trois registres verticaux qui préfigurent les minarets du XIIe siècle, notamment la Giralda de Séville et celui de la Koutoubiyya de Marrakech. Le registre central comprend de bas en haut une porte surmontée d’un bandeau de pierre sculpté et encadrée de deux colonnes engagées ; une fenêtre en plein cintre surmontée d’un arc recti-curviligne posé sur deux colonnes engagées; une fenêtre en plein cintre; une ouverture surmontée d’un tympan à arc brisé : une ouverture aveugle en arc brisé ornée de deux départs d’arcade reposant sur un pilier central.
Les deux registres latéraux sont symétriques et ont chacun, à mi-hauteur, un défoncement en forme de niche avec au-dessus deux ouvertures aveugles en plein cintre ornées de céramique.

LE PALAIS DU MANAR

Il est composé de constructions juxtaposées. Un bàtiment central est muni d’une porte en avant-corps ornée de niches semi-cylindriques. A l’intérieur, à gauche, un escalier menait aux salles du premier étage. A droite, un couloir en chicane ouvrait sur une cour centrale bordée sur ses quatre côtés par une galerie permettant l’accès aux différentes salles. La cour était pavée de dalles blanches et les galeries de briques rouges posées sur champ.
A l’est, un bàtiment comprenait une salle dallée de marbre dont le mur ouest était orné d’une fresque ou motifs floraux et épigraphiques s’associaient harmonieusement. Cette salle offrait une très belle vue sur l’oued Fredj. Au nord, un bàtiment se composait de trois ensembles de constructions comprenant plusieurs pièces et cours dallées. A l’ouest, un bàtiment était organisé autour d’une grande cour dallée de marbre, agrémentée d’un très beau bassin de pierre orné de quatre lions. Les portiques et les pièces étaient décorés de carreaux de céramique de forme hexagonale.

LE DONJON DU MANAR

Bàti au bord de la falaise qui surplombe l’oued Fredj, le donjon du Manar se présente sous la forme d’une tour de plan carré de 20 m de côté, dont les faces sont ornées de niches semi-cylindriques surmontées d’une demi-coupole. A l’intérieur, une rampe en pente douce voûtée en berceau tourne autour d’un noyau carré de 10 m de côté et conduit à une terrasse.
Deux salles superposées constituaient cet édifice. La salle supérieure était de plan cruciforme et on y a trouvé des colonnettes en marbre. Elle servait probablement de salle d’apparat et d’audience au souverain.
Par une poterne dominant l’à-pic, on accédait à une salle en sous-sol ayant fonction de magasin ou de prison. Le style de cette construction n’est pas sans rappeler la ville de Mahdia en Tunisie et le palais de la Qubba à Palerme. en Sicile.

LE PALAIS DU SALUT

Ce palais se trouve à proximité de Bab al Djenan. Fouillé par l.ucien Golvin dans les années 1950, il aurait eu les mêmes dimensions que le palais du Lac. La partie exhumée montre une cour carrée de 15 m de côté dallée de pierres plates, autour de laquelle se répartissaient des salles dont l’une ouvrait sur une porte monumentale donnant accès sur une antichambre et une salle d’audience. Des silos en céramique ont été trouvés dans la cour. Selon Golvin, l’entrée du palais se trouvait du côté sud alors que la salle d’apparat ainsi que les appartements et les bains étaient au nord. Toujours d’après Golvin, le dispositif de ce palais rappellerait celui de Achir, berceau de la dynastie.

LE PALAIS DU LAC (DAR EL BAHAR)

[SinglePic not found]Dans les sources écrites, il est aussi appelé le palais des Emirs ou palais du Gouvernement. Il s’agit du plus beau des palais et du plus important découvert à ce jour à la Qal’a. Il a été agrandi en fonction des besoins des monarques qui s’y sont succédé. Cela explique l’orientation multiple des ensembles.
D’une longueur de 250 m sur 160 m de large, ses murs d’enceinte mesurent 2,40 m d’épaisseur. Les parties fouillées montrent de nombreuses salles avec des murs et des sols décorés de marbre, de brique et de céramique.
[SinglePic not found] La partie du complexe orientée est-ouest comprenait un certain nombre de vastes salles agencées autour d’un grand bassin de 64 m sur 45 m. Ce lac artificiel, bordé d’une galerie à portiques, servait, selon les chroniqueurs, à l’organisation de joutes nautiques. Les techniques de construction de ce bassin seront reprises plus tard, au XIVe siècle, dans le palais de l’Alhambra à Grenade.
Les parties supérieures du palais, composées de trois groupes de bàtiments, ont été interprétées par de Beylié comme des édifices palatiaux équipés de citernes, abritant les appartements privés de l’émir et les logements des serviteurs.
Les historiens de l’art et les archéologues ont étudié les caractères de cette architecture et pensent que la Qal’a reflète des influences del’Art sassanide d’Iran (Firuz Abad) et d’Egypte (mosquées al-Aqmar et al-Hakim). Georges Marçais soutenait pour sa part que l’art de la Sicile musulmane portait directement les influences de l’art Hammadide. Il comparait le donjon du Manar à la Torre di Santa Ninfa et au palais de la Ziza à Palerme.
La vie artistique et intellectuelle était intense clans la capitale Hammadide, surtout après la prise de Kairouan par les Hilaliens. La ville s’était dotée d’une industrie prospère, animée par des multitudes d’artisans, tisserands, joailliers, céramistes réputés, charpentiers, menuisiers… Elle attira aussi les savants, les poètes et les docteurs en théologie, comme le poète et savant Abû al Fadhl al Nahwi qui mourut en 1119. Al Nahwi donna son nom au petit village construit autour de son tombeau, au sud-ouest de la Grande Mosquée. Après avoir séjourné en Orient ou il aurait été un disciple de Ghazali. il se rendit dans diverses villes du Maghreb, notamment à Sijilmassa, ou il enseigna le droit et la religion, puis à Fès, ou il prêcha à la mosquée. On sait qu’il eut un disciple en la personne du Qadhi Abu ‘lmran Mûsa ibn Hammad al Sanhadji, un membre éminent de la famille régnante. C’est aussi le cas de l’historien lbn Hammad qui étudia d’abord à la Qal’a, puis à Bejaia, ou toute l’élite savante se regroupa quand les Hammadides eurent transféré leur capitale sur les rivages de la Méditerranée.
Ainsi, la civilisation Hammadide, bien qu’elle n’ait pas livré tous ses secrets puisque des pans entiers de la Qal’a n’ont pas encore été fouillés, a mis en évidence que le Maghreb central n’était pas un simple appendice des civilisations qui se développaient en Orient et en Ifriqiya. Les chroniqueurs des XIe et XIIe siècles ont mis l’accent sur le rayonnement politique, culturel et économique de la Qal’a dans un premier temps, puis de Bejaia par la suite. Le frère de Hammad, Zawi, se tailla même un fief en Espagne, avec Grenade pour capitale. Ses descendants y bàtirent une citadelle dont on peut encore voir les vestiges malgré les travaux ultérieurs entrepris par les Nasrides

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